Ce que la « mexicanisation » devrait dire…

Posté le par le français dans le monde

Depuis le printemps dernier, les relations culturelles entre la France et le Mexique connaissent des turbulences avec notamment une vague de protestations sur les réseaux sociaux contre les stéréotypes du film Emilia Perez de Jacques Audiard et également avec un usage excessif  par certains médias français d’une expression erronée : la « mexicanisation ». Voici pourquoi nous publions une tribune proposée par un de nos lecteurs mexicains, enseignant de FLE, Tony Nagéra de Sousa Peixera.


Le  néologisme « mexicanisation », employé à plusieurs reprises ces dernières semaines au sein du débat public français, constitue l’origo et le point de départ de notre réflexion. Comprenons au demeurant, en paraphrasant le linguiste Patrick Charaudeau, que la communication politique peut s’appréhender comme « un théâtre, une vaste scène sur laquelle se jouent entre les êtres humains, à travers leurs actes de langage, des jeux relationnels divers[1] ». Cette tribune entend ainsi apporter un éclairage sur certaines limites discursives (notamment pour la coopération éducative) à l’utilisation de l’expression « mexicanisation », par certaines femmes et hommes politiques.

Commençons par examiner ce vocable « mexicanisation ». Le nom propre « Mexique » perd ici sa majuscule et sa catégorie grammaticale pour se convertir en un nom commun. De surcroît, nous observons l’ajout du suffixe -tion issu du latin, qui exprime une action ou le résultat de cette action. Le recours à ces procédés morphologiques, morphosyntaxiques et sémantiques afin de créer de nouvelles expressions dans la sphère politico-médiatique et académique, n’est pas un phénomène nouveau. En effet, les locutions : « africanisation », « américanisation », « arabisation », « balkanisation », « européanisation », « francisation » ou « germanisation » par exemple, répondent à une logique similaire. D’ailleurs ces dernières ont perdu, progressivement, leur statut de néologisme, et trouvent actuellement leur place dans nos dictionnaires comme des unités lexicales ordinaires.
Les considérations jusqu’ici évoquées, se vérifient aisément en consultant les formes verbales associées à ces expressions, au sein du dictionnaire de l’Académie française : « Européaniser : donner un caractère européen à », « Franciser : donner un caractère français, une allure française à » ou bien encore « Germaniser : rendre allemand ou germanique ; donner un caractère allemand ou germanique à ».
À la lumière du susdit, « mexicaniser » pourrait se définir et s’employer, dès lors, comme « le fait de donner à une personne ou à un pays des caractères empruntés aux habitants du Mexique ». D’aucuns pourraient exemplifier immédiatement, en se référant au poète Octavio Paz (1914-1998), à l’écrivain Carlos Fuentes (1928-2012), à l’artiste peintre Frida Kahlo (1907-1954), au réalisateur et producteur Guillermo del Toro, à l’homme d’affaires Carlos Slim, au musicien Carlos Santana, ou au champion de boxe, Canelo Álvarez.

Or, l’usage de ce néologisme dans l’espace médiatico-politique français, ainsi que son corollaire sémantique, semblent appartenir à un champ lexical divergeant et connoté négativement. Il est aisé de comprendre, pour le plus grand nombre, le message sans ambiguïté et d’en saisir son sens implicite et métaphorique. C’est-à-dire, sa réelle « intention de communication[2] » politique d’une certaine manière. L’expression « mexicanisation » est utilisée dans le débat public actuel, non pas uniquement, pour dénoncer la criminalité organisée liée au trafic de drogue dans certains quartiers français et sa violence inhérente ; mais également, pour exprimer la volonté d’agir politiquement, de faire quelque chose rapidement. L’expression possède une dimension performative qui répond totalement au fameux « quand dire, c’est faire[3] » du philosophe John Austin. Il va sans dire que le langage politique dans ce contexte, n’est plus que jamais un instrument à la fois « d’action et de pouvoir [4] ». Une action politique. Un pouvoir sémantique.
Cette expression est d’autant plus suggestive grâce à (ou à cause de) la popularité des séries, documentaires et films disponibles sur les principales plateformes de service streaming, ayant pour thématique principale, la lutte contre le trafic de drogue en Amérique latine. En effet, l’efficacité dans le discours politique de ce néologisme, s’inscrit indubitablement dans un arrière-plan historique d’une époque et d’une société.

L’utilisation de ce néologisme « mexicanisation » dans la rhétorique politique française structure symboliquement des représentations collectives réductrices, stéréotypées et stigmatisantes, envers un partenaire incontournable pour la France, le Mexique. Il semble important de rappeler [5] qu’au sein de la région Amérique centrale et du sud, le Mexique est le 2ème partenaire commercial de la France derrière le Brésil, son 2ème fournisseur et son 1er excédent (967,5 millions d’euros en 2022). Les échanges franco-mexicains ont dépassé les 6.6 milliards d’euros en 2023. De plus, 550 entreprises françaises y sont implantées. Dans le domaine de la coopération éducative et culturelle, il existe plus de 700 accords universitaires entre les deux pays. Le succès des programmes de mobilité étudiante Mexprotec ou Mexfitec illustre parfaitement la proximité des deux pays. Le Mexique occupe également une place très spécifique au sein du réseau culturel français à l’étranger, avec plus de 1 200 centres d’examens DELF-DALF, un des réseaux les plus importants au Monde.
Ne serait-il pas plus prudent, et distancié, d’utiliser les termes de « cartellisation » ou de « narcobanditisme », par exemple ? La correction orthographique de mon logiciel de traitement de texte, ne cesse depuis les premières lignes de cette tribune de souligner le terme « mexicanisation ». Une synchronicité qui nous indique que l’usage mal à propos de ce néologisme dans le débat public francophone, pourrait représenter une ligne rouge sémantique, éthique et diplomatique à ne pas franchir.

Tony Nagéra de Sousa Peixera.
Professeur de FLE avec une expertise en coopération éducative en Amérique latine.

[1] CHARAUDEAU P., Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, p. 39.
[2] MOIRAND S., Enseigner à communiquer en langue étrangère, Paris, Hachette, 1982.
[3] AUSTIN J.L., Quand dire, c’est faire. Paris, Seuil, 1991.
[4] BOURDIEU P., Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques. Paris, Fayard, 1982, p. 13.
[5] Source : https://www.diplomatie.gouv.fr. Consulté le 15/02/2025.

 

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