Lectures francophones, voyageuses et cosmopolites

Posté le par le français dans le monde

Les prix littéraires 2024 : Lectures francophones, voyageuses et cosmopolites
Un article écrit par Bernard Magnier

ERRATUM : à la suite d’une erreur de composition de la page 68 du numéro FDLM, nous publions l’intégralité de l’article rédigé par Bernard Magnier. Nous lui présentons nos excuses ainsi qu’à nos lecteurs.

Prix Goncourt à Kamel Daoud (Houris), Renaudot à Gaël Faye (Jacaranda), Fémina et prix de l’Académie française à Miguel Bonnefoy (Le rêve du jaguar) et si l’on veut ajouter à la liste, Goncourt du premier roman à Eve Guerra (Rapatriement) et prix  de la Langue française et prix Décembre à Abdellah Taïa, force est de constater que les jurés des prix littéraires ont eu la lecture francophone, voyageuse et cosmopolite avec une belle part réservée aux écrivain(e)s venu(e)s du continent africain.

 Prix Goncourt : Kamel Daoud Houris, Gallimard

HourisAube « dans la langue intérieure », Fajr « dans la langue extérieure », telle se prénomme une jeune femme, rescapée de la guerre civile qui a frappé l’Algérie et fait des milliers de victimes dans les années 90. Laissée pour morte, la gorge ouverte, à l’âge de 5 ans, Aube/Fajr est muette et porte les stigmates de cette agression, une cicatrice de dix-sept centimètres et le port d’une canule pour respirer.  Aujourd’hui enceinte d’un père absent, elle est la narratrice de sa destinée, contée à son enfant à naître qu’elle imagine être une fille. Dans les méandres de ses souvenirs et de ses réflexions qui sont aussi ceux de son pays, elle porte cette terrible interrogation : doit-elle lui « éviter de naître » pour lui « éviter de mourir à chaque instant « ? Le romancier algérien signe dans une langue altière un roman transgressif évoquant cette période de l’histoire algérienne qui demeure un sujet tabou.

 

Prix Renaudot : Gaël Faye Jacaranda, Gallimard

Jacaranda

Une mère rwandaise mutique sur son passé familial et son pays natal. Un père français fantasque expatrié au Burundi. Entre les deux, vivant à Versailles, Milan, jeune narrateur de douze ans découvre devant son écran de télévision, en 1994, le génocide des Tutsis, et nous conduit sur les traces de ses questions et de ses vertiges. Milan interroge, tâtonne parmi les secrets enfouis de cette famille et de ces lieux dont il découvre, au cours de plusieurs séjours, les acteurs et leurs passés complexes et douloureux. Ainsi, Rosalie l’aïeule, Claude le « neveu » de sa mère qui porte les stigmates d’une blessure, Sartre, grand lecteur et mélomane averti, qui recueille dans son « Palais » les enfants livrés à eux-mêmes, et Stella, la lumineuse petite fille qui, perchée sur un jacaranda, observe, écoute et restitue sa part de l’histoire. Le roman est âpre et sans concessions, les témoignages bruts et abrupts, à la démesure des faits, les personnages lumineux ou plus sombres se côtoient et Milan, adolescent puis jeune homme métis, est à la croisée de ces destinées. Gaël Faye poursuit sa quête pour essayer d’approcher les ombres intimes et familiales et les dessous peu reluisants de l’Histoire rwandaise. Ce ne sont pas seulement les effroyables exactions meurtrières ou les implications européennes, de la colonisation aux complicités silencieuses et agissantes durant le génocide, qui sont ici contées mais aussi leurs conséquences et leurs lendemains difficiles.

 

Prix Fémina et Prix de l’Académie française : Miguel Bonnefoy Le rêve du jaguar, Payot-Rivages

Le rêve du jaguar

« Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d’une église qui aujourd’hui porte son nom »… Du début à la fin de cette première ligne de ce nouveau roman de Miguel Bonnefoy, on retrouve le lointain et le mystère et les destinées que l’on présume extraordinaires. Comme dans Le Voyage d’Octavio, ou Héritage ou L’Inventeur), le romancier aux ascendances vénézuélienne par sa mère et chilienne par son père creuse le sillon latino-américain dont il cultive la virtuosité imaginative et stylistique. Antonio échappe à son destin grâce à un marin et à son appareil à rouler les cigarettes. Il rencontrera Ana Maria qui souhaite épouser l’homme qui lui racontera la plus belle histoire d’amour et Antonio saura le faire.  Il sera chirurgien, elle sera gynécologue, la première de la région. Ils auront une fille qui naîtra le jour de la chute du dictateur et portera le nom de…Venezuela qui elle-même donnera naissance (à Paris) à l’enfant qui deviendra le narrateur du roman ! La boucle est bouclée mais tout ceci est bien peu au regard des mille et une petites et grandes aventures qui peuplent ce roman dont les protagonistes croisent, sur trois générations, la grande Histoire.

 

Prix Goncourt du premier roman : Ève Guerra Rapatriement, Grasset
De Lyon où elle réside pour ses études, Annabella apprend la mort de son père, un ouvrier franco-italien demeuré sur le continent africain, tandis que sa mère congolaise s’était installée en France. Le rapatriement du corps donnera l’occasion d’une plongée dans les souvenirs mais aussi de la découverte de quelques secrets. Un bagage lourd à porter pour une jeune fille déjà fragilisée…

 

Prix Décembre et Prix de la langue française : Abdellah Taïa Le bastion des larmes, Julliard

Autre retour au pays, celui de Youssef, écrivain résidant à Paris, revenant au Maroc afin de vendre l’appartement de sa mère. Il y retrouve un lieu familier, le souvenir d’un ancien amant qui vient de mourir mais aussi ses sœurs qu’il a beaucoup aimées mais qui, après l’avoir protégé, ont cessé de le défendre lorsque son homosexualité s’est heurtée aux terreurs et aux regards inquisiteurs de la société environnante.

                                                                                                                  

 

Aucun commentaire

Laisser un commentaire