Trois questions à… Éric-Emmanuel Schmitt
Il est l’un des auteurs francophones les plus lus et les plus joués dans le monde. Pour la première fois, trois de ses pièces, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Madame Pylinska et le secret de Chopin, Le Visiteur sont proposées en DVD, aux Éditions Montparnasse, dans un coffret sobrement intitulé Éric-Emmanuel Schmitt, Sur Scène.
Propos recueillis par Bérénice Balta
Écriture, mise en scène, jeu, comment choisissez-vous entre ces différents médiums pour parler du monde ?
Je me vis comme un conteur qui essaye de conter les histoires qui racontent le monde et, parfois, font réfléchir à notre situation humaine. Je suis incapable d’avoir une préférence. À chaque fois, j’obéis à une nécessité. Quand une histoire me dit « je suis une pièce de théâtre », j’écris une pièce, quand elle me dit « je suis un roman », j’écris un roman… Quant à monter moi-même sur scène, ça a été un peu le fait du hasard. Cela dit, c’est le seul moment où je me sens immortel, sur scène ! Je trouve l’éternité dans l’instant ! C’est le sommet du partage, de jouer, et j’échappe, ainsi, à la solitude de l’écriture de mon bureau. Mais une vie de créateur, c’est une vie d’extrêmes obéissances, plutôt que de décisions. C’est comme ça que je le vis. J’obéis à l’inspiration qui me pousse. J’ai l’impression, moi, d’être le médium, l’instrument, le scribe, le passeur, un transmetteur de valeurs, de fictions.
Que représente la francophonie pour vous ? Ça veut dire quoi « écrire en français » ?
Je suis amoureux de ma langue, c’est ma partenaire depuis soixante ans et elle me résiste et c’est toujours elle qui gagne. J’adore cette relation ! C’est une langue inépuisable par sa richesse et sa complexité.
Elle peut être parlée ou écrite de façon différente selon les axes et les lieux de la francophonie et c’est très important pour moi d’avoir des occasions de partage.
En tant que juré Goncourt, je suis, aussi, très sensible à la littérature francophone et très attentif à des écritures qui honorent le français parce qu’elles fabriquent la francophonie. Des auteurs qui choisissent de s’exprimer en français sur d’autres territoires, sont un cadeau absolu qu’il faut valoriser.
Vous parlez beaucoup du monde, des autres et de spiritualité. Est-ce une façon d’emmener lecteurs ou spectateurs vers la connaissance et l’ouverture ?
Dans tout ce que j’écris, il y a la volonté de rejoindre le territoire commun de tous les humains qui est celui où on se pose les mêmes questions, où l’on s’interroge sur le sens, la relation à l’autre, l’identité. Je crois que l’humanisme c’est le partage des questions d’abord. Parce que souvent les réponses diffèrent et les réponses divisent. Tandis que si l’on se concentre sur le partage des questions, on peut constater notre identité commune et je crois beaucoup à ça. Et, les récits de ce coffret, sont des histoires qui nous conduisent aux lieux où nous nous retrouvons tous : dépasser les apparences identitaires, se retrouver dans l’attention aux choses, au vivant, à la nature, aux sons, au silence comme à la musique. J’organise toujours mes récits pour aller au coeur de l’humain, là où on peut se retrouver.
On antagonise au lieu de réunir, donc c’est encore plus nécessaire de proposer d’autres schémas de pensée. C’est tellement plus facile de désigner un bouc émissaire, un ennemi, plutôt que de réfléchir à la complexité des causes qui nous lient tous. On commence intolérant, c’est spontané, et on finit tolérant…