Alain Bentolila – « Une partie de notre jeunesse souffre d’impuissance linguistique »
« Permettez-moi de vous dire la vérité sur la langue française. Une vérité contre le conformisme frileux qui voudrait que chacun “parle comme il veut” », déclare Alain Bentolila en introduction de ses Controverses sur la langue française, sous-titré 51 vérités pour en finir avec l’hypocrisie et les idées reçues (ESF éditeur). Entretien avec un linguiste engagé.
Propos recueillis par Clément Balta
Au commencement était le verbe… « Le propre de l’humain », dites-vous dans votre premier chapitre. Fallait-il en revenir à la genèse même du langage pour en finir avec « les idées reçues » ?
Les hommes forgeant patiemment leur langue affirmèrent progressivement leur volonté de tenir de plus en plus fermement les rênes d’une parole qui put ainsi servir à comprendre et à dominer ensemble le monde. Les échanges qui, en leurs débuts, se limitaient à désigner à l’autre les objets ou les êtres qui les entouraient relevèrent un tout autre défi : ils se mirent à s’interroger sur des objets et des phénomènes, à tenter d’en expliquer le fonctionnement, à proposer de les modifier et de s’en servir. Surtout, ils purent dire ce qu’ils pensaient des propositions de chacun et à en discuter la pertinence ou la vérité. Les règles organisant la langue, acceptées par tous, furent le moteur qui leur permit de dépasser la simple contemplation commune du monde. La langue prit son envol, vit sa puissance augmenter à mesure que s’affirmait la volonté des hommes d’imposer au monde (et à Dieu) leur intelligence : la tour de Babel prenait de la hauteur. C’est l’urgence de pouvoir penser ensemble qui poussa l’homo sapiens sapiens à construire et à améliorer le langage. Ce n’est ni ne le fait d’un heureux hasard, non plus que l’amélioration automatique de leurs connexions neuronales. C’est au contraire en créant le langage que les hommes ont amélioré la plasticité et la puissance de leur cerveau.
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