Veronika Kovalova – « Ma manière à moi de résister et d’agir »
Dans une Ukraine en guerre, l’enseignement du français est devenu un levier de résistance pour certains professeurs. Veronika Kovalova, 27 ans, a fait de son coup de foudre pour la langue française un métier, qui apparaît aujourd’hui plus utile que jamais.
Propos recueillis par Sarah Nuyten
Je suis née à Odessa, où je vis toujours. C’est une belle ville en Ukraine, près de la mer Noire. J’y suis profondément attachée. Ici se trouvent mes racines, ma famille, mon conjoint, mes amis et mes chats ! Depuis le début de la guerre avec la Russie, beaucoup d’Ukrainiens ont décidé de partir. Moi j’ai fait le choix de rester et de continuer à enseigner. Mon histoire d’amour avec la langue française a commencé au collège, presque par hasard. Nous devions choisir une deuxième langue vivante et ma mère m’a dit : « Pourquoi pas le français ? C’est une langue féminine et raffinée. » Je l’ai écoutée et ne l’ai jamais regretté : j’ai immédiatement eu un coup de foudre pour cette langue ! En marge des leçons reçues à l’école, j’écoutais des podcasts, je regardais des vidéos, j’apprenais du vocabulaire, je n’arrêtais pas de travailler pour me perfectionner.
« Être obligé de fuir son pays en guerre et s’installer ailleurs est déjà très dur, mais encore plus quand il faut affronter la barrière de la langue »
Après le lycée, la question de mon futur métier s’est posée et mes parents m’ont laissé une totale liberté de choix : si j’avais voulu être astronaute, ils m’auraient soutenue. Je me suis donc tout simplement demandé : « Qu’est-ce que j’aime le plus ? » Et c’est le français qui s’est imposé. J’ai donc intégré une université réputée d’Odessa, pour y étudier la philologie, la littérature française et le français. Je ne pensais jamais devenir prof, je me voyais plutôt traductrice, interprète ou écrivain. Pourtant, c’est désormais une évidence : je suis à ma place. Aujourd’hui plus que jamais, par les temps troublés que nous vivons en Ukraine.
Énergie positive
J’enseigne depuis neuf ans. J’ai commencé auprès des enfants et des adolescents durant mes études, pour me faire de l’argent de poche. Au début, c’était difficile, mais j’y ai pris goût et je n’ai jamais arrêté. Il y a quelque chose de sacré dans le fait de transmettre un savoir. J’ai travaillé dans différents établissements, ce qui m’a permis de comprendre que le milieu scolaire n’est pas fait pour moi. Ce que j’aime, c’est accompagner mes élèves, adolescents ou adultes, de manière personnalisée et unique : à mon sens, il n’y a rien de mieux que les cours privés pour cela. Être prof, pour moi, c’est vraiment du donnant-donnant : je reçois beaucoup d’énergie positive lorsque je fais un cours.
Je travaille actuellement avec des réfugiés ukrainiens qui ont quitté le pays à cause de la guerre. Ils vivent en France, au Canada, en Suisse ou en Belgique et ont besoin d’apprendre à parler français pour leur vie quotidienne, leur recherche d’emploi ou leurs études. Être obligé de fuir son pays en guerre et s’installer ailleurs est déjà très dur, mais eux doivent en plus affronter la barrière de la langue. Alors pendant mon cours, on travaille pour progresser en français bien sûr, mais je fais aussi le maximum pour leur offrir une parenthèse conviviale et divertissante. Proposer des cours ludiques, faire des blagues, dédramatiser les difficultés, cela a toujours fait partie de mes méthodes. D’abord parce que je suis de nature optimiste, mais aussi parce que je suis persuadée que c’est ainsi que l’on apprend le mieux.
Levier de survie
Depuis que la guerre a éclaté, je ne travaille plus qu’à distance. Pour des raisons de sécurité évidentes, et parce que mes élèves sont partis dans différents pays. Au départ, j’ai pensé à arrêter, je me disais : « À quoi sert le français alors que c’est la guerre dans mon pays ? » Je pensais que c’était la dernière chose dont les gens avaient besoin. Mais pour les réfugiés des pays francophones, c’est devenu un levier essentiel de survie. J’ai en ce moment 12 élèves, tous ukrainiens. Psychologiquement, c’est très dur pour eux : ils suivent les actualités à distance, s’inquiètent en permanence pour leurs proches restés au pays. Le quotidien de la guerre, moi je le vois tout le temps, les missiles, la peur, c’est un cauchemar. Mais pour les réfugiés aussi, c’est terrible. Alors si j’arrive à leur apporter un peu de joie et leur montrer que je suis en Ukraine et que je reste positive, ils vont voir que la vie continue et garder espoir. Je dirais que le fran¬çais est devenu un instrument pour communiquer avec les réfugiés d’une manière thérapeutique. Je suis très positive, pas seulement dans mes cours, mais aussi dans ma vie. Dans ce contexte compliqué, c’est ma manière à moi de résister et d’agir.
« Le français est devenu un instrument pour communiquer avec les réfugiés d’une manière thérapeutique »
J’ai accepté la réalité de la guerre, je m’y suis habituée. Cette situation va peut-être durer plusieurs années, mais la vie continue et il faut se battre pour cela. Je ne cache pas que j’ai aussi parfois besoin d’une échappatoire : voyager est pour moi le meilleur des exutoires. Ma passion pour les voyages existe depuis longtemps, mais elle a été décuplée par la guerre. Alors c’est vrai, se déplacer est plus compliqué qu’avant car on a bien des aéroports, mais il n’y a plus de vols. Je dois donc aller en bus en Moldavie ou en Roumanie pour prendre l’avion. Très souvent, je combine voyage touristique et formation pour professeur de FLE. J’adore les destinations nature comme la Grèce, et, bien sûr, la France : Nice, Bordeaux, Poitiers ou La Rochelle…
Mais même lorsque je voyage, je ressens les effets de la guerre : j’ai par exemple perdu l’habitude de me promener le soir, car en Ukraine ce n’est plus possible. Alors quand je suis loin et que je vois des gens flâner et rire en soirée, cela me saisit et m’inspire : j’espère que cette légèreté reviendra dans mon pays. Pour mes élèves c’est la même chose, ils sont là-bas, apprennent le français, mais attendent le retour en Ukraine.
Le projet « Francaisgram », un matériel pédagogique universel
En marge de ses cours, Veronika travaille sur un projet de longue haleine : la création de A à Z d’un matériel pédagogique combinant le principe des cartes avec le réseau social Instagram. « Françaisgram » proposera un contenu payant, regroupant des cartes descriptives de personnages francophones célèbres. Particularité de ce matériel pédagogique pensé pour les apprenants et les
enseignants : les cartes seront adaptées à tous les niveaux de langues. Multiusages, elles permettront de travailler la description, le lexique, l’analyse de texte, et d’explorer le sujet lui-même… Instagram doit permettre de donner de la visibilité au contenu, notamment auprès des jeunes. Le lancement de « Françaisgram » est prévu pour 2025. En attendant, vous pouvez contacter Veronika sur LinkedIn.