Par monts et par mots : le récit de voyage en classe
Au-delà des frontières de la langue, l’intégration du récit de voyage en classe de FLE adolescents offre des opportunités transdisciplinaires inédites, favorisant le dialogue entre littérature, arts, géographie et histoire. Plongée dans des univers narratifs variés, où les apprenants expérimentent le français de manière collaborative et multimodale, tissant ainsi des compétences linguistiques enrichies et des perspectives culturelles élargies.
Par Jeanne Renaudin et Magali Dimier
Depuis l’essor des pratiques communicatives, on ne présente plus les avantages de l’entrée didactique par le genre littéraire qui permet, comme le rappelle Kerbrat-Orecchioni, d’aborder la langue cible in vivo du point de vue de ses pratiques concrètes et contextualisées.
Le récit de voyage, quant à lui, peut constituer un document authentique offrant de multiples intérêts dans le cadre de la classe de langue, espace clé de confrontation d’altérités et de croisement des cultures. Revenons d’abord sur sa nature : le récit de voyage décrit et narre l’expérience d’un voyage, souvent réel, vécu par l’auteur. Il combine des éléments narratifs avec des observations, des réflexions et parfois des impressions subjectives sur les lieux visités. En ce sens, ce genre discursif inclut la présence d’une voix narrative personnelle, l’expression d’émotions et de représentations de l’auteur, ainsi que la volonté de partager une expérience unique avec le lecteur. Parmi les nombreux exemples que l’on pourrait mentionner, le récit de voyage en Orient, très populaire parmi les auteurs européens du xixe siècle, a abondamment participé à élaborer un imaginaire orientaliste qui imprègne encore aujourd’hui les représentations occidentales.
Les récits de voyages : des discours-mosaïques
D’un point de vue davantage formel, les récits de voyage peuvent adopter différentes structures et sont souvent des sortes de mosaïques dans lesquelles les descriptions détaillées (où l’on mêle iconographie et texte) des paysages, des cultures locales, des rencontres avec les habitants, et parfois des défis surmontés au cours du voyage, sont fréquentes. Les auteurs ont souvent recours à des éléments descriptifs, des dialogues, des cartes et des anecdotes pour captiver le lecteur et lui faire dont la première représentation consciente se fait dans un Japon transformé selon lui faire ressentir l’atmosphère et l’authenticité du voyage. L’usage d’une langue vivante et évocatrice est courant pour transmettre au mieux les impressions du voyageur.
De plus, les récits, lettres, carnets et autres relations de voyage ne sont pas propres à un contexte historique, géographique ou culturel donné. Les plus anciennes de ces formes littéraires remontent à l’Antiquité et, bien que la majorité des récits qui peuplent nos imaginaires soient l’oeuvre d’auteurs occidentaux, il est tout à fait possible de découvrir et faire découvrir des récits de voyageurs extra-européens offrant un nouveau regard sur les sociétés
européennes : voir à ce sujet L’ailleurs de l’autre, Récits de voyageurs extra-européens, sous la direction de C. Le Blanc et J. Weber, paru en 2009, et, en particulier, le chapitre « Yu Kiljun, S yu ky nmun : du récit de voyage comme illustration d’une conviction » par Eun-Jin Jeong, qui propose une vision de l’Europe par le prisme d’un Coréen
dont la première représentation consciente se fait dans un Japon transformé selon lui par l’Occident.
De par sa forme souvent hybride, les thématiques traitées, notamment celle du regard porté sur l’ailleurs, sur l’Autre en général, et les connaissances qu’il convoque en termes de géographie, topographie, ethnographie, etc., le récit de voyage offre de nombreuses potentialités de didactisation interdisciplinaires
Un support pour parler de soi et de l’autre, vécu et imaginaire
Que faire, alors, du récit viatique en classe ? Appartenant au macrogenre de l’écrit autobiographique, il offre d’abord l’occasion de travailler sur les caractéristiques de l’écriture de soi et se prête à une multitude d’applications didactiques sous forme, par exemple, de productions écrites. En effet, dans de nombreuses classes de FLE, en particulier en contextes homoglottes où se côtoient différentes cultures, nombreux sont les apprenants à pouvoir rendre compte d’une expérience de mobilité marquante que ces productions permettraient de valoriser. C’est le cas des apprenants immigrés (notamment en classe d’UPE2A dans le contexte français), pour qui le déplacement peut constituer un pan important du récit de vie, et le journal de voyage représenter une forme balisée et sécurisante pour exprimer un vécu parfois difficile.
Rien n’empêche également l’enseignant d’emprunter les codes du récit de voyage pour mobiliser la créativité de ses apprenants en leur proposant de raconter un voyage imaginaire. Occasion de mobiliser le lexique du fantastique, du merveilleux, les superlatifs, voire de jouer avec la langue en inventant de nouveaux lieux et espèces sous forme de néologismes (voir les propositions didactiques des dossiers sur la géographie fantastique de la Bibliothèque nationale de France : https://fantasy.bnf. fr/fr/transmettre/les-geographiesimaginaires/).
Un engagement transdisciplinaire
Au-delà du travail de production écrite, sans doute plus classique, il est également possible de proposer des approches alternatives qui convoquent d’autres disciplines, comme les arts plastiques, l’histoire ou la géographie.
Prenons l’exemple de la cartographie : dans le récit de voyage, la carte est souvent convoquée pour aider à la compréhension du texte. Or, pour certains géographes, lire une carte bien conçue revient à lire un texte au sens de discours écrit et organisé. En effet, en tant qu’énoncé graphique « produit par un sujet dans le but de constituer une unité de communication » (Cuq), une carte est bel et bien un texte, l’organisation de sa légende permettant de matérialiser sa structure : ses idées fortes et les liens logiques qui les unissent.
La cartographie, par le langage qui lui est propre, offre donc une nouvelle catégorie de textes pouvant être investie par les apprenants. Mise en perspective avec des formes de narration littéraire classiques, elle permet de développer chez eux des capacités multilittératiées de compréhension, d’interprétation et de production de textes multimodaux grâce au passage d’un texte verbal à un texte graphique (comme l’évoquent E. A. Hellmich et A. Mouzet en 2021 dans leur article « Intégrer les cartes digitales SIG en classe de FLE : théorie et pratique »). Ce travail d’analyse et de création de carte avec les apprenants a aussi une portée culturelle non négligeable : au-delà des régions travaillées, il permet de s’exercer dans des compétences chères à certaines traditions éducatives francophones. Le programme général du cycle 4 en France accorde ainsi une importance toute particulière aux « représentations et [à] l’expérience géographiques des élèves » qui permettent de « conforter les apprentissages » . L’aspect visuel du travail sur la carte peut avoir un effet rassurant pour des apprenants parfois découragés face à l’écrit. Il simplifie en apparence le processus de compréhension qui devient matérialisation concrète. La compréhension n’est-elle pas toujours une forme de matérialisation mentale ?
Une approche sensorielle
En invitant les apprenants à explorer des récits riches en descriptions sensorielles, on stimule également leur imagination et leurs sens, et on favorise une appropriation plus profonde tant en compétences linguistiques qu’en compétences générales.
En parallèle, le travail sur le récit de voyage permet d’explorer des expressions artistiques variées, telles que la peinture, la gravure, la musique ou la photographie. Les apprenants peuvent être encouragés à créer leurs propres oeuvres inspirées des récits lus en classe, de leurs récits ou de ceux de leurs camarades, mettant ainsi en pratique leurs compétences langagières tout en développant leur créativité. Cette fusion entre l’expression artistique et l’apprentissage linguistique crée un environnement éducatif dynamique et engageant, offrant aux adolescents une expérience d’apprentissage multisensorielle. Sandrine Eschenauer, maîtresse de conférences en didactique des langues et du plurilinguisme, affirmait dans une conférence récente que « la pratique artistique éveille les sensorialités, les émotions, fait appel à la motricité, à la réflexion, à la sélection d’informations, à la créativité, donc à la flexibilité mentale. […] Elle mobilise de nombreuses dynamiques neuronales qui sont interreliées, et qui probablement favorisent l’émergence du langage » . Utilisons donc ces multiples possibilités en classe, dont un exemple pratique complet sera donné dans la fiche disponible sur le site du Français dans le monde.