« La dynamique de Moncton passe par sa francophonie »
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5Monde présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Gabriel Robichaud, auteur et acteur acadien de Moncton, au Nouveau-Brunswick (Canada). Une rubrique « Étonnants francophones » à retrouver dans le numéro 450 (janvier-février 2024) du Français dans le monde.
« Je suis né à Moncton et j’ai grandi à Dieppe, la ville à côté. Ce sont les deux villes avec le plus important nombre de francophones dans une province, le Nouveau-Brunswick, comptant 800 000 habitants sur 72 902 km2. 30 % sont francophones et s’identifient pour la plupart comme acadiens. J’en suis. L’Acadie est la première colonie française en Amérique du Nord, elle date de 1604. Le territoire redevient anglais en 1713, et la majorité de sa population acadienne en est déportée entre 1755 et 1763. Depuis, ceux qui ont échappé à ce triste sort en se cachant, ceux qui sont revenus d’exil, ainsi que ceux que la vie amène ici constituent ce peuple qui s’obstine à créer, vivre et faire vivre sa culture et sa langue dans l’est de l’Amérique du Nord…
Pour ma part, je suis acteur (théâtre, télévision, cinéma) et auteur (poésie, théâtre, scénarios, chansons) acadien et je crée en français. Je suis diplômé en art dramatique depuis 2011, mais travaille dans le milieu des arts depuis 2007. Ma pratique m’a amené à travailler dans huit des dix provinces canadiennes, puis à voyager dans plusieurs pays sur quatre continents. J’ai écrit cinq livres et trois pièces de théâtre : mon recueil de poésie Acadie Road a reçu le prix Champlain en 2019 ; ma pièce Crow bar va être adaptée pour un long-métrage ; j’ai aussi gagné la médaille d’argent aux Jeux de la Francophonie d’Abidjan, en 2017. Avec une autre artiste acadienne, Bianca Richard, nous avons lancé en 2021 un balado (podcast), Parler mal, sur l’insécurité linguistique au Canada, qui est devenu un documentaire en 2023, et sera une pièce de théâtre cette année.
« Avec une autre artiste acadienne, Bianca Richard, nous avons lancé en 2021 un balado (podcast), Parler mal, sur l’insécurité linguistique au Canada, qui est devenu un documentaire en 2023, et sera une pièce de théâtre cette année »
Un sujet crucial, car le plus clair de ma vie s’est passé en français dans une communauté où domine l’anglais. Si la province et le pays où j’habite se considèrent comme bilingue, la démographie des langues y varie selon les régions et les communautés. Le bilinguisme y est généralement le fait de la minorité francophone ayant dû se plier à l’unilinguisme de la majorité anglophone.
Certains le voient comme un aplaventrisme, d’autres comme une résilience. Je suis né dans une décennie où ma région a été l’hôte de deux évènements d’importance : le Congrès mondial acadien de 1994 (qui avait pour but de rassembler tous les Acadiens depuis la déportation de 1755), et le Sommet de la Francophonie organisé à Moncton en 1999.
Pour plusieurs, ces évènements ont été des moments d’affirmation, alors que pour l’imaginaire du garçon de moins de 10 ans que j’étais, ç’a été une norme. Ainsi, j’ai toujours vu la ville où je suis né devenir le centre d’évènements plus grands que nature, plus grands que ce que sa densité suggérait comme possibles. La dynamique de Moncton passe indubitablement par sa francophonie, et si de loin on peut nous considérer comme une périphérie, de l’intérieur on a souvent l’impression de contribuer à la création d’un centre.
« J’ai eu le privilège de bénéficier d’un milieu familial qui tenait à sa langue et à sa culture acadienne, mais aussi francophone, canadienne d’abord, internationale ensuite »
J’ai eu le privilège de bénéficier d’un milieu familial qui tenait à sa langue et à sa culture acadienne, mais aussi francophone, canadienne d’abord, internationale ensuite. L’arrivée d’un ami venu de Paris à Moncton à la veille de mon parcours universitaire m’a aussi ouvert sur la culture française contemporaine, tout comme le travail et les voyages m’ont amené à explorer les francophonies du monde, surtout depuis 2014. Comme papa d’un jeune garçon, c’est mon tour d’aspirer à transmettre ce qui m’a été transmis, et à continuer d’en élargir les horizons, à partir d’ici. C’est à partir d’ici que je crée. C’est à la fois d’ici que tout part quand j’ai à partir, et ici, également, que se trouvent les lieux où je reviens toujours. »
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