Partager sa passion des mots entre la classe et Instagram

Posté le par le français dans le monde

Enseignante de lettres dans un collège parisien, Karine Dijoud transmet depuis plus de vingt ans sa passion de la langue française à ses élèves. Elle la partage aussi sur Instagram et dans un ouvrage paru cette année, Le français avec style.

Par Alice Tillier

Elle a un temps songé à enseigner l’allemand, une langue qu’elle apprécie pour son côté rigoureux et qui l’habite encore puisqu’il lui arrive de rêver dans la langue de Goethe. Mais c’est finalement son amour du français qui l’a emporté : Karine Dijoud est devenue professeure de lettres. « J’ai choisi les lettres classiques, parce que je suis passionnée d’étymologie et que j’aime la diversité : j’adore passer d’un cours à l’autre du français au latin, de l’initiation à la culture antique ou à celle du grec ! », confie-t-elle.
Il y a eu aussi des figures inspirantes pour lui ouvrir la voie : sa mère, elle-même professeure de français puis cheffe d’établissement, qui lui a donné le goût de la lecture ; « Mme Dardonville, une prof géniale que j’ai eue en 6e et qui s’illuminait quand elle nous faisait cours de grec » ; ou avant encore, à l’école élémentaire, cette maîtresse de CE2 qui avait fait fabriquer en classe une boîte à trésors où conserver ses mots préférés. Karine y avait glissé « soleil », « joie », « moelleux » – « des mots au fond très standards, mais que j’aimais pour ce qu’ils évoquaient, des mots très rassurants ».

Le goût des mots

Aujourd’hui, ce sont les mots rares qu’elle affectionne tout particulièrement. Encore plus si leurs sonorités sont évocatrices : « Mon mot préféré, c’est “suranné” : on y entend très clairement le côté désuet. J’aime aussi l’adjectif “amphigourique”, qui parle de lui-même : c’est un mot très emmêlé ! » Ces mots rares, elle les utilise aussi en classe pour donner à ses élèves le goût de la langue française. Et ça marche ! « On entend souvent dire que l’emploi de mots soutenus est révélateur d’un niveau social et reste très élitiste. Mes élèves, au collège Colette-Besson, dans le 20e arrondissement de Paris, appartiennent pourtant à tous les milieux sociaux, c’est loin d’être un établissement favorisé, et pourtant ils aiment les mots rares. » Quand leur enseignante leur propose d’adopter un mot, ils choisissent d’eux-mêmes « louvoyer », découvert dans un roman de Joseph Joffo, ou encore « peccadille », tiré de La Fontaine, et réussissent à le replacer dans une phrase, en cours, dans les 24 heures !

En ligne comme en classe, Karine Dijoud travaille sur les mots – le sens ou l’origine d’une expression, l’étymologie d’un terme. Elle y voit une clé de décryptage essentielle pour permettre « une pensée plus précise »

Il faut dire que la passion de Karine est communicative. Elle qui avoue « adorer les règles » et se voit comme « plutôt puriste », ne cherche pas non plus à être plus royaliste que le roi. Elle se dit ouverte aux simplifications de l’orthographe de certains mots, surtout quand ils sont le résultat de complexifications abusives, issues de fausses étymologies ; si elle adore les mots « brimborion » et « billevesée », elle ne les emploie pas ; et elle s’intéresse tout aussi bien au vocabulaire des jeunes : « C’est fascinant de voir l’évolution de certains mots comme “charo”, issu de charognard : il a d’abord été utilisé comme une insulte, puis il est devenu synonyme de Don Juan ! »
Auprès de ses élèves, Karine bénéficie de son aura d’Instagrameuse et de ses 134 000 abonnés. L’envie de partager sa passion du français sur les réseaux sociaux est venue tout à coup, un jour de 2020 : « C’était l’année du confinement. J’étais dans ma bulle, comme un peu tout le monde à ce moment-là. J’ai eu une sorte de révélation, à la fin d’une séance de yoga : j’allais partager sur Instagram ce que j’aimais le plus au fond de moi. » Son ancien compte, « Une parenthèse mode », devient alors « Les parenthèses élémentaires » – un clin d’oeil à la fois à l’école élémentaire et aussi aux Particules élémentaires de Michel Houellebecq, dont elle n’est pas une grande lectrice mais dont elle avoue reconnaître le caractère brillant.

Une ambassadrice moderne

Au lancement de son compte, Karine avait préféré séparer nettement son travail d’enseignante et son activité d’Instagrameuse. Quand des élèves lui demandaient de s’abonner, elle préférait les bloquer. Aujourd’hui, bien au contraire, elle multiplie les passerelles entre l’un et l’autre. Elle a même aligné certains de ses rituels de classe sur ses rubriques de publication : « Le mardi, je fais, comme sur Instagram, une séquence de 5 minutes sur “On ne dit pas”. L’occasion par exemple de faire la chasse aux tics de langage, tous les “du coup”, “en fait”, “en mode” qui reviennent si souvent ! J’apporte mes propositions et les élèves en suggèrent d’autres. »
En ligne comme en classe, elle travaille sur les mots – le sens ou l’origine d’une expression, l’étymologie d’un terme. Elle y voit une clé de décryptage essentielle pour permettre « une pensée plus précise ». Les élèves s’en emparent avec enthousiasme : en fin d’année « ceux qui réagissent le plus vite à une question d’étymologie ne sont pas forcément les latinistes : c’est une petite victoire ! »
Mais la langue française, c’est aussi la littérature, et chaque cours commence par la lecture de l’incipit d’un roman ou d’une nouvelle. Cinq minutes seulement, en ouverture du cours, pour mieux « poser la classe » et commencer dans une atmosphère apaisée. Charge ensuite aux élèves de dire ce qu’ils en ont retenu – un nom de personnage, une ambiance, un chiffre… – et d’inscrire le titre, à la fin de leur cahier, à la suite de tous les autres ouvrages commencés en classe.

La langue française, c’est aussi la littérature, et chaque cours commence par la lecture de l’incipit d’un roman ou d’une nouvelle. Cinq minutes seulement, pour mieux « poser la classe » et commencer dans une atmosphère apaisée

Sur Instagram, elle donne ses coups de coeur littéraire en une petite vidéo d’une minute. Parmi ses auteurs préférés figurent Milan Kundera et Albert Cohen, mais aussi Patrick Modiano, et « de plus en plus de jeunes auteurs », à l’image d’Antoine Wauters, prix du Livre Inter, à l’« univers incroyable ».
Se sent-elle ambassadrice de la langue française ? C’est l’image qui lui a été renvoyée plusieurs fois déjà. L’idée lui plaît, indéniablement. « Je ne suis pas la seule, évidemment : je pense à Muriel Gilbert, correctrice au Monde, qui intervient à la radio ; à des membres de l’Académie française, mais ils sont souvent controversés, parce qu’ils sont âgés, conservateurs et qu’ils incarnent une certaine forme de patriarcat. Le fait que je sois une femme, plus jeune, avec l’expérience de l’enseignement, me donne une position différente… » À ses cours et à Instagram, elle ajoutera sans doute prochainement des dictées en podcasts. « Petite, j’ai suivi toutes les émissions littéraires de Bernard Pivot, Apostrophes mais aussi Bouillon de culture. Ses dictées étaient pour moi un moment sacré. Marcher dans ses traces en enregistrant moi-même des dictées, ce serait tout simplement le rêve ! »


Genres, expressions idiomatiques, usages
Dit-on un ou une aparté, un ou une astérisque ? Est-il correct de dire « je suis allé sur Paris (ou sur Marseille) » ? Faut-il dire « bonne journée » ou le remplacer par « belle journée » que l’on entend de plus en plus souvent ? Comment comprendre l’expression « passer du coq à l’âne » ? ou encore « avoir les dents du bonheur » ? Quelle est la différence entre égoïsme et individualisme ? Autant de « parenthèses élémentaires », ouvertes par Karine Dijoud.
instagram.com/lesparentheseselementaires/

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