Vie de prof – Fériel Belbachir : « J’aime enseigner aux Palestiniens, aux Tanzaniens, aux Jordaniens… »
Passionnée par la formation, Fériel Belbachir revient sur son parcours d’apprenante puis d’enseignante de français en Algérie, notamment sur son expérience récente au Sahara occidental, entre amour de la langue et engagement « FLEministe », comme elle l’évoque.
Propos recueillis par Jeanne Renaudin
Je suis titulaire d’un master 2 en didactique du FLE et du FOS à l’université de Tlemcen, une petite ville au nord-ouest de l’Algérie. Depuis 2022, je suis formatrice labélisée TV5Monde ; nous sommes trois dans ce cas en Algérie, mais je suis la seule à être active et à animer des formations dans le pays pour que les enseignants de FLE utilisent cette plateforme. Je compte déjà quatre formations inscrites sur le site TV5Monde, dont une sur le féminisme que j’ai intitulé « FLEminisme ». Un mot-valise qui a eu beaucoup de sucées dans l’équipe de TV5Monde !
Je suis née et j’ai grandi dans un environnement très francophone, mes parents sont tous les deux enseignants de français et nous avons toujours parlé cette langue à la maison. Grâce à mon père, j’ai lu dès mon plus jeune âge les plus grands auteurs français : Proust, Pagnol, Balzac, Colette… En Algérie, le français est enseigné à l’école primaire à parti de 8 ans, et depuis le collège, j’ai toujours aidé mes camarades à comprendre un point grammatical, une phrase, un texte. On me disait souvent que j’avais un don pour faire « passer le message ». J’ai toujours eu une facilité avec les langues, j’adore écouter les gens parler une langue étrangère et tous les accents. J’ai donc fait une licence en traduction, mais plus j’avançais dans ma vie, plus je penchais vers le français. En 2011, j’ai passé mon DALF C2 avant d’intégrer l’équipe pédagogique de l’Institut français de Tlemcen où j’ai commencé à donner des cours pour les enfants.
« Depuis le collège, j’ai toujours aidé mes camarades à comprendre un point grammatical, une phrase, un texte. On me disait souvent que j’avais un don pour faire “passer le message” »
Je suis aussi prof de français au lycée public, un lycée pour fille. L’Algérie est un pays très conservateur. Nous retrouver seules entre filles nous pousse à évoquer des sujets tabous dans la société, dont ces adolescentes ne peuvent discuter avec leurs parents. Je trouve merveilleux le fait que je sois l’élément déclencheur de leur liberté d’expression. Grâce à mes dix ans d’expérience dans l’éducation nationale algérienne, j’ai la chance de former les nouvelles recrues à la didactique, à la pédagogie et la pédo-pédagogie. J’aime former les enseignants à faire aimer à leurs élèves la langue et la culture françaises. En utilisant par exemple en classe une chanson, une série ou un film français. Je crois que c’est ça qui m’a poussée à devenir formatrice labellisée TV5Monde et à didactiser tout document authentique francophone. À l’Institut, j’enseigne le français à tout le monde : aux enfants, aux adolescents, aux migrants, aux étudiants, étrangers ou non, ou aux expatriés.
Depuis 2013, l’IF de Tlemcen reçoit beaucoup d’étudiants jordaniens et palestiniens qui viennent en Algérie pour faire des études de médecine. Comme les études ne se font qu’en français, ils doivent absolument apprendre la langue pendant un an pour atteindre le niveau B1 et intégrer l’université algérienne. Je suis ces étudiants du A1.1 jusqu’au A2.2 et parfois jusqu’au B1. C’est un peu de l’alphabétisation puisque les étudiants palestiniens qui viennent de Gaza n’ont parfois aucune notion de langue étrangère hormis l’arabe classique et l’arabe dialectal gazaoui. Depuis 2011, j’ai eu pas mal d’expatriés étrangers venus à Tlemcen pour le travail. Des ingénieurs en génie civil espagnols, des architectes turcs, des techniciens italiens, des informaticiens égyptiens… Mais
depuis le Covid, beaucoup de choses ont changé.
Former des enseignants dans un camp de réfugiés
En février 2022, la coordinatrice de l’ONG italienne CISP (Comité international pour le développement des peuples) m’a contactée pour former une trentaine d’enseignants sahraouis du camp de réfugiés de Tindouf, une ville du sud-ouest algérien. Ce camp est divisé en cinq wilayas (l’équivalent de département en France) qui ne disposent pas de lycées. Après le collège, ces adolescents se déplacent dans des villes algériennes pour poursuivre leurs études et obtenir le bac. Je devais préparer une formation d’environ 30 heures sur les techniques d’animation de classe. Réaliser des cours ludiques qui sortent de l’ordinaire est mon objectif premier dans l’enseignement. J’adore découvrir les gens et avoir des amis étrangers un peu partout dans le monde ; j’aime enseigner aux Palestiniens, aux Tanzaniens ou aux Jordaniens, qu’ils me parlent de leurs traditions, leurs cultures ou me fassent goûter leurs spécialités culinaires. Même si je suis algérienne, je n’ai jamais vu le désert algérien, c’était tout nouveau pour moi.
La première chose qu’on voit quand on arrive aux camps des réfugiés, ce sont des plaines arides à perte de vue. Et le calme. Moi qui ai grandi dans une ville assez peuplée, je trouvais ce silence apaisant. Mais ces camps restent dépourvus de matériel. Les enseignants ne disposent pas tous de tableaux. Les ordinateurs sont quasi inexistants, ne parlons même pas d’internet et de wifi. Malgré tous ces problèmes, les enseignants sont très motivés puisqu’ils savent que c’est primordial pour leurs études et leur avenir (après le bac, ces jeunes réfugiés sahraouis étudient dans les universités algériennes où toutes les spécialités se font en français). Les réfugiés vivent dans des tentes, tandis que les écoles sont construites avec des containers en aluminium (imaginez la chaleur, en février, il faisait 43 degrés !).
Au camp de Tindous, je devais leur apprendre les bases de l’enseignant : comment préparer un cours, se fixer des objectifs, animer un cours
Les enseignants avaient tous le niveau A1, une poignée le niveau A2 : le défi était immense ! C’était très compliqué le premier jour car aucun n’avait une formation en FLE ou en didactique. Mais ils avaient tous des masters en mathématiques, en biologie, en histoire… Je devais leur apprendre les bases de l’enseignant : comment préparer un cours, se fixer des objectifs, animer un cours. Les Sahraouis ont gardé beaucoup de valeurs de convivialité et d’accueil que la modernité a malheureusement supprimées. Je me rappelle qu’à la fin de la formation, les participants m’ont tous demandé de rester un jour de plus pour leur apprendre plus de techniques. La joie, c’est d’entendre un participant dire : « À quand la prochaine formation ? » J’ai la chair de poule à chaque fois que je vois un enseignant de FLE se donner à fond dans son travail. Je suis restée en contact avec la majorité des participants de la formation.
En Algérie, le nombre d’étudiants inscrits aux cours de français ne cesse d’augmenter session après session. Il est vrai qu’ils le font pour partir étudier en France, mais c’est grâce à eux que les enseignants de français peuvent promouvoir la culture et la langue françaises. En ce moment, les Instituts français d’Algérie offrent plus de formations. Le BELC régional Algérie est ainsi une vraie opportunité pour beaucoup d’enseignants ! Ma prochaine étape, c’est de participer à celui qui aura lieu à Alger en août en tant que formatrice de formateurs. J’avais déjà participé à deux BELC été à Nantes en 2012 et en 2016 et j’animerai cette fois le module « Intégrer l’éducation aux médias en classe de FLE ».
J’utilise beaucoup de médias dans mes cours. Mon nouveau projet, c’est de superviser un magazine mensuel réalisé par les apprenants B1 de l’IF de Tlemcen. Le premier numéro s’intitule FrancoFOU et le suivant FrancoFille (fait uniquement par des filles en B1.1, pour montrer que dans une société très masculine, elles sont capables de réaliser 20 articles pour faire un magazine : Girl power !). Dans un avenir proche, j’espère bien faire encore plus le tour des Institut français d’Algérie pour rencontrer encore plus de collègues enseignants car vous l’aurez compris, l’enseignement, c’est ma passion ! »