« Je suis un passeur de mots »
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5Monde présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Tokiniaina Rakotomanga alias Gad Bensalem, poète, comédien et slameur malgache. Une rubrique « Étonnants francophones » à retrouver dans le numéro 446 (mai-juin 2023) du Français dans le monde.
« Souvent, je me présente comme un « passeur de mots ». Pas un « penseur », un « passeur » de mots. J’entends par là que je ne suis qu’un relais, un porte-voix, un témoin de mon temps en quelque sorte. Parfois, il arrive que les mots me traversent sans que je réalise immédiatement leur portée. Car je les découvre en les écrivant et surtout en les portant sur scène. C’est au public généralement de composer avec. La magie du théâtre et du slam-poésie se situe, pour moi, à cet endroit précis de la rencontre entre le slameur-poète ou comédien et son public.
Dès mes débuts, en 2009-2010, à l’École normale supérieure d’Antananarivo où je suivais des études de lettres, le français a tout de suite constitué une « passerelle » idéale entre ce que je voulais transmettre comme émotions ou vécus et le public avec qui je voulais dialoguer. Il s’agissait, bien entendu, du public malgache mais aussi bien au-delà. Mon pays étant une île – une immense île – je sentais le besoin de parler aux habitants de ce qu’on appelle l’Indianocéanie (Madagascar et les archipels des Comores, des Mascareignes et des Seychelles) mais également au reste du monde – et le français était l’outil le plus proche. Il a fallu manipuler, travailler, apprivoiser la langue mais la scène est aussi là pour cela.
« Le français a tout de suite constitué une « passerelle » idéale entre ce que je voulais transmettre comme émotions ou vécus et le public avec qui je voulais dialoguer »
Je viens d’une famille très modeste coincée dans une petite bourgade du centre-est de Madagascar. Comme on n’avait rien, les études étaient la seule échappatoire possible. C’était à la fois une contrainte au quotidien mais également une liberté inespérée. Mes parents n’avaient d’autre espérance que celle de nous voir « briller » mes frères et moi.
La première fois que je passe à la télé pour une interview, pour eux, il se passait – enfin – quelque chose. Pour moi, je ne faisais que « passer le mot ». Mon rôle c’est vraiment de parler du Madagascar d’aujourd’hui. Et parfois, pour parler du présent, il faut aussi toucher un peu au passé. Je suis donc sensible à toutes les vibrations de ma Grande Île. Il arrive que les mots « sortent » plus facilement en malgache, je les garde tels quels. Reprendre en français dans la foulée ne me pose aucun souci. Tout est possible sur scène, c’est extraordinaire.
« Le slam-poésie et le théâtre m’ont sauvé la vie. Quand je regarde en arrière – le meilleur reste à venir – tout était tellement incertain »
Le slam-poésie et le théâtre m’ont sauvé la vie. Quand je regarde en arrière – le meilleur reste à venir – tout était tellement incertain. Madagaslam (dont j’étais le président en 2014), l’association fédératrice des slameurs-poètes malgaches, est vraiment un déclencheur de potentiels chez les jeunes. Quant à la Compagnie Miangaly Théâtre (que je rejoins en 2012), cela fait plus de 30 ans qu’elle existe dans le paysage culturel malgache et apporte vraiment sa pierre à l’édifice. Je me sens chanceux et heureux de faire partie de cette aventure. C’est une véritable école. Elle m’a aussi donné ma chance et si aujourd’hui je peux voler de mes propres ailes, c’est grâce à elle.
En y pensant bien, je suis un vrai privilégié, j’espère pouvoir aller à la rencontre du plus grand nombre (surtout le public malgache) pour « passer mes mots ». »
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