FDLM434 – Economie : Jérôme Pimot, un ancien livreur à vélo en pointe contre l’ubérisation
Economie : Jérôme Pimot, un ancien livreur à vélo en pointe contre l’ubérisation
Aujourd’hui l’économie, le portrait du 22 décembre 2020 – Alexis Bedu
Pour aller plus loin, faites l’exercice sur RFI Savoirs :
https://savoirs.rfi.fr/fr/apprendre-enseigner/societe/uberisation-la-lutte-dun-livreur-a-velo/1
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Alexis Bedu : L’homme d’une cinquantaine d’années a des kilomètres au compteur. Il a sillonné tout Paris sur son vélo. Tout commence en 2014 pour une plateforme de livraison de repas.
Jérôme Pimot : Une boite qui s’appelait Toctoctoc et qui se voulait le « Uber* » de la restauration. Je [ne] connaissais pas Uber. Peu de gens connaissaient Uber à l’époque.
Alexis Bedu : Il découvre alors l’auto-entrepreneuriat et ses travers : les nombreux bugs de l’application censée l’orienter sur ses commandes, les facturations incomplètes de son employeur, la couverture sociale quasi inexistante. Il se rapproche d’un juriste qui va lui ouvrir les yeux.
Jérôme Pimot : Au final, il a lu le contrat – je lui ai envoyé – et puis il m’a rappelé, il m’a dit : « Mais en fait, Jérôme, t’es salarié. » Je lui ai dit : « Mais comment ça ? Je suis auto entrepreneur, je [ne] suis pas salarié. » Il me dit : « Oui, mais en fin de compte, tu devrais être considéré comme un salarié par rapport à la façon dont tu travailles. » Et là, il m’a expliqué ce que c’était que le lien de subordination : le contrôle, les sanctions, les suivis, l’organisation que je [ne] gère pas, tout le matériel qu’on m’impose et qui [ne] m’appartient pas.
Alexis Bedu: Du salariat déguisé en d’autres termes. Jérôme Pimot poursuit alors dans d’autres plateformes. Un passage chez l’anglais Deliveroo se passe très mal : blessé à l’épaule, il se fait virer, radier de l’application parce qu’il n’a pas assez travaillé. C’est à ce moment là qu’il commence à militer et fonde le C.L.A.P. : Collectif des Livreurs Autonomes de Paris.
Jérôme Pimot : Ce principe de management, on voit les crispations que ça crée et puis même les drames que ça crée. Les « gilets jaunes » en 2018 à Paris sont ni plus ni moins que l’effervescence à grande échelle de ce qui s’est passé chez les premiers travailleurs de plateforme. C’est la même chose. C’est des travailleurs qui sont là – censés être indépendants – mais qui sont de plus en plus pauvres parce qu’ils sont de plus en plus nombreux et gagnent de moins en moins.
Alexis Bedu : Les revendications des livreurs, ce n’est pas le salariat qu’ils considèrent comme étant de moins en moins protecteur, non ! Les luttes de ces nouveaux travailleurs doivent permettre leur émancipation vis à vis des plateformes, ce que Jérôme Pimot appelle un « salariat autonome » mais qui reste à négocier.
Jérôme Pimot : Pour l’instant, là, on est en train de créer des collectifs qui ensuite se chargeront de négocier et de discuter les uns avec les autres comment on doit travailler parce que, quelque part, c’est pas aux plateformes de définir comment doivent travailler des livreurs. Les plateformes, elles sont gérées par quelques capitaines d’industrie, quelques « marketeux », quelque développeurs informatiques mais c’est des gens qui sont rarement montés sur un vélo à l’échelle d’un livreur, c’est à dire 8-10 heures par jour. Donc, en fin de compte, il faut que ça change ça : ces algorithmes d’affectation des commandes ou de tarification des livraisons sont construits par des gens qui [ne] sont jamais montés sur un vélo!
Alexis Bedu: Cette année 2020 en plein confinement, ils étaient de plus en plus nombreux à dévaler les avenues des villes pour servir des repas. Et plus il y a de livreurs, plus les tarifs baissent. Il y a 5 ans, une course rapportait minimum 7€50, aujourd’hui ce chiffre est tombé à 2€60. Cela a tout transformé. Sur les vélos, ce ne sont plus les mêmes qui acceptent ces conditions. Des mineurs ont récemment fait leur apparition.
Jérôme Pimot : Les livreurs licites gagnant de moins en moins, les mecs, ils ont arrêté de bosser et donc ils se sont mis à louer leur compte aux réfugiés et puis aussi aux petits de la cité, des fois même qui séchaient les cours, allaient livrer du Uber Eats ou du Deliveroo. Ils avaient 14, 15, 16 ans. On en avait croisé un, un jour, dans la rue qui avait 11 ans, qui travaillait sur le compte de son grand frère. Les plateformes mettent en place directement ou indirectement ce genre de système qui va de pire en pire, en fait. Tout ça pour quoi ? Parce qu’il n’y a pas de régulation.
Alexis Bedu : Jérôme Pimot lui est toujours sur son vélo. Aujourd’hui coursier salarié dans une entreprise de transport de courrier et de service, il ne dit pas de boycotter les plateformes. Sa seule recommandation pour les clients : donner un pourboire entre 5 et 10€. Une façon de soutenir mais surtout de payer les livreurs au vrai prix.
* La start-up Uber a donné le terme nouveau d’« ubérisation » pour définir le modèle économique dont Jérôme Pimot parle dans son témoignage.