« Je vois le français refleurir »
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5Monde présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Viateur Dusengimana, professeur de français à l’école internationale de Green Hills Academy, à Kigali, au Rwanda. Une rubrique « Étonnants francophones » à retrouver dans le numéro 432 (janvier-février 2020) du Français dans le monde.
« Je suis professeur de français à Green Hills Academy, une école internationale située à Kigali. J’enseigne également à l’Institut français du Rwanda (IFR). Grâce aux formations professionnelles auxquelles j’ai pu avoir accès, à mes années d’expérience en tant qu’enseignant de FLE, dont deux ans à l’Alliance française de Lusaka, je me suis improvisé formateur. L’objectif est de partager mon expérience avec les collègues rwandais pour une amélioration de leurs pratiques d’enseignement.
Dans mon enfance, je rêvais d’un métier où la langue française serait mon outil de travail. Lors de mon inscription au Kigali Institute of Education, l’institution qui forme les enseignants du secondaire au Rwanda, j’étais angoissé à l’idée de ne pas de rejoindre le département de français. Mais mon vœu a été exaucé. Et durant mes quatre années de formation, je me suis pleinement investi pour devenir professeur de français. Un bon professeur de français. Ce n’était plus un rêve, mais un projet. À la fin de mes études, en 2008, le statut du français a changé dans mon pays (l’anglais est devenu langue d’enseignement). Je me suis senti perdu. Mais plus tard, j’ai pu rejoindre l’IFR et l’école française. J’y étais comme un poisson dans l’eau, un enfant qui retrouve sa famille. La langue française était et mon outil de travail et l’objet de mon travail. Que demander de plus ? Cela fait onze que dure l’idylle.
“Je me suis pleinement investi pour devenir professeur de français. Un bon professeur de français. Ce n’était plus un rêve, mais un projet”
J’ai rencontré la langue française à l’âge de 8/9 ans. Les premiers mots que j’ai appris, « Bonjour Louise ! » (première réplique du premier dialogue de Ma colline, méthode de français de l’époque), étaient un sésame. Un droit d’accès à un monde magique et, comme pour Ali Baba, le début d’une découverte de trésors infinis. J’accédais aussi à un autre statut dans ma famille, celui de participer aux débats, étant donné que chez nous les sujets importants se discutaient en français. Même maintenant, quand je m’exprime sur un sujet qui me tient vraiment à cœur, je le fais en français.
Aujourd’hui, au Rwanda, le français reste une langue officielle mais n’est plus une langue d’enseignement. Ce changement de statut implique un changement de méthodes d’enseignement-apprentissage. La plupart des profs de français du Rwanda ont besoin d’une mise à jour sur les méthodes d’enseignement du français en tant que langue étrangère. C’est la tâche de notre association, le « Rassemblement des enseignants de français au Rwanda » : apporter une formation professionnelle pour améliorer leurs pratiques pédagogiques. Une tâche facilitée par les enseignants avec lesquels nous travaillons qui, à chaque fois, manifestent leur intérêt pour ces mises à jour et leur impatience à les mettre en pratique dans leurs classes. C’est d’ailleurs une attitude qu’on trouve aussi chez les parents qui, avec la relance de l’enseignement du français, retrouvent le sourire à l’idée que leurs enfants pourront s’exprimer correctement dans cette langue.
“Je voyais, à côté de moi, Français, Sénégalais, Maliens, Togolais, Congolais, Burkinabè. J’avais l’impression d’être une fleur, dans un parterre où se voient plusieurs couleurs, où se respirent plusieurs essences. C’est l’image que j’ai de la francophonie”
Un encouragement de plus : l’Organisation internationale de la Francophonie épaule notre pays dans cette mission. Grâce à elle, des professeurs de tous horizons francophones ont été invités au Rwanda pour ragaillardir l’enseignement du français. J’ai eu le privilège de les côtoyer en participant à certains ateliers organisés par le Rwanda Education Board et l’IFR. Je voyais, à côté de moi, Français, Sénégalais, Maliens, Togolais, Congolais, Burkinabè. J’avais l’impression d’être une fleur, dans un parterre où se voient plusieurs couleurs, où se respirent plusieurs essences.
C’est l’image que j’ai de la francophonie. Une famille, dans le sens africain du terme, une union qui n’est pas uniforme et qui respecte la différence. Et l’espace francophone, de Brest à Antananarivo en passant par Phnom Penn via Montréal et Douala, un lieu d’échanges, de partage, de coopération. Ce qui nous lie, la langue française, nous permet, grâce à la mobilité des compétences, de nous épauler aujourd’hui dans le domaine de l’enseignement et demain dans plusieurs autres domaines. Tel un jardinier aux premières pluies, je vois le français refleurir, je vois des centres de langues surgir, je vois mes élèves envisager des carrières dans le monde francophone, je vois des émissions en français naître. Et je suis heureux de faire partie de cette aventure.
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