En turquie, une pédagogie de projets en contexte universitaire
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique EXPÉRIENCE du numéro 405 de mai-juin 2016. Bonne lecture à toutes et tous !
La pédagogie de projets en contexte universitaire est un levier pour l’apprentissage disciplinaire en langue française. Elle réclame une forte implication de l’apprenant : plus actif et davantage responsabilisé. Trois exemples à l’Université Galatasaray d’Istanbul, en Turquie.
Par Frédérique Pelletier, Agnès Dardel Cayan, Amélie Niot et Maryse Péchoux
En 2016, Frédérique Pelletier est coordinatrice du français à l’Université Galatasaray. Agnès Dardel Cayan et Amélie Niot sont enseignantes de FLE à l’Université Galatasaray et Maryse Péchoux, enseignante et formatrice de FLE/FOU au CUEF de l’Université Grenobles Alpes, est à l’Université Galatasaray.
À l’Université Galatasaray, le projet se définit par la réalisation d’un produit, élaboré collectivement au sein d’un groupe classe, qui comprend un ensemble de tâches et suscite l’apprentissage de savoirs et savoir-faire dans le champ du français sur objectif universitaire (FOU). Ces savoirs et savoir-faire sont d’ordre disciplinaire, méthodologique et linguistique (en langue française). Le produit final, réalisé dans un temps déterminé, doit être concret et évaluable. Présenté en amont, le projet crée les besoins et justifie aux yeux de l’apprenant les apprentissages qui peuvent relever de plusieurs disciplines, mais aussi de compétences non curriculaires – comme savoir planifier son travail, respecter des délais, s’organiser, etc. – en relation directe avec leur métier d’étudiant. Cet ancrage dans le réel est un facteur de motivation essentiel.
Voici l’exemple de trois projets correspondant aux besoins spécifiques des disciplines enseignées mis en place dans les cours de première année de licence à l’université Galatasaray.
Organiser une campagne électorale dans le département de science politique
Ce projet réalisé en articulation entre le cours de FOU et le cours de méthodologie disciplinaire a pour intention de développer les objectifs pédagogiques suivants : argumenter, débattre et convaincre. Réalisé en groupes, il se décompose en quatre étapes qui allient productions écrite et orale : création d’un parti politique ; rédaction de la profession de foi de ce parti ; organisation d’un meeting électoral ; organisation d’un débat entre deux partis opposés idéologiquement.
Lors de la première étape, « création d’un parti politique », la ligne directrice de chaque parti est donnée par l’enseignant de méthodologie afin de favoriser « un éventail » intéressant de partis politiques. L’objectif est aussi de confronter les apprenants à une situation où ils devront argumenter et convaincre un auditoire en défendant une idéologie qui peut être éloignée de la leur.
À travers cette articulation enseignement de la méthodologie disciplinaire / enseignement de la langue, le projet vise aussi à faire prendre conscience aux apprenants de l’indissociabilité entre le fond et la forme, les connaissances disciplinaires, les savoirs et les savoir-faire tant en méthodologie qu’en langue française.
L’évaluation de chaque étape est ainsi commune, l’enseignant de méthodologie disciplinaire se concentrant sur la cohérence de l’argumentation à travers les idées et la méthode, et l’enseignant de langue sur cette même cohérence à travers la langue. Les apprenants prennent ici réellement conscience des « ingrédients » nécessaires à la production d’un discours disciplinaire clair.
Présenter un produit innovant en génie informatique
En faculté d’industrie et de technologie, les besoins en langue se concentrent autour des objectifs généraux suivants : définir, présenter, expliquer, caractériser, justifier, argumenter.
Dans le domaine informatique, les applications amènent les étudiants à concevoir des programmes pour faire fonctionner un ensemble de composants électroniques. C’est donc tout naturellement que les enseignants de langue et d’informatique ont décidé de proposer aux étudiants un projet consistant à créer un produit personnel à partir de composants imposés et à rechercher un investisseur potentiel pour le commercialiser, situation assez proche de leur futur cadre professionnel.
Présenté en début d’année, le projet réalisé sur trois mois suscite aussi l’apprentissage de savoirs et de savoir-faire de gestion de projet (décider, planifier, coordonner, respecter des délais/contraintes, etc.) indispensables à ces futurs ingénieurs.
Le caractère collectif les incite à développer des compétences socio-communicatives. Plusieurs productions sont demandées aux étudiants :
• À l’oral, réaliser une vidéo de trois minutes pour présenter le pro- duit inventé, les caractéristiques des différents composants et leurs interactions, le mode d’emploi, l’avantage commercial du produit par rapport à la concurrence et la cible potentielle.
• À l’écrit, rédiger un dossier re- prenant les éléments précédents complétés d’une étude de marché (coût du produit, quantification de la cible et arguments publicitaires).
L’évaluation se fait au cours de la réalisation et à la fin par les enseignants des deux cours (informatique et FLE) sur les deux productions (qualité technique du produit, originalité et intérêt commercial, compétences linguistiques), mais aussi sur leur qualité réflexive par rapport à leur apprentissage : il leur est demandé en effet de présenter les compétences développées au cours du projet et les difficultés ren- contrées.
Organiser et animer une conférence pour le département d’économie
En économie, l’idée de proposer à nos étudiants d’organiser et d’animer une conférence a été le fruit de nombreux échanges entre les enseignants. Ce projet, dont les tâches sont réalisées à trois ou quatre apprenants, se déroule selon un échéancier commun. Plusieurs tâches sont à confectionner au cours du semestre, selon la progression des objectifs des deux cours.
La première tâche individuelle consiste à produire le commentaire d’un document non textuel : l’enseignant du cours de méthodologie travaille sur la rédaction d’un commentaire de document chiffré et l’enseignant de langue se concentre sur les éléments langagiers (comparatifs, superlatifs, présentatifs, connecteurs logiques, etc.).
Dans un deuxième temps, les étudiants sélectionnent des documents authentiques en relation directe avec le thème de la conférence et réutilisent la méthodologie et les outils linguistiques acquis.
Il s’agit de rendre chaque étudiant capable de :
• effectuer une recherche de documentation scientifique de manière autonome et de valider la pertinence des documents par rapport au thème retenu de la conférence ;
• lire et analyser méthodiquement des documents chiffrés ;
• définir une problématique ;
• rédiger le commentaire du document de manière ordonnée et cohérente ;
• produire un discours à l’oral qui soit clair et facile à suivre.
C’est l’enseignant de méthodologie disciplinaire qui guide les étudiants dans leur recherche de documentation scientifique et ce, à l’aide d’une sitographie élaborée spécialement par ses soins. Quant à l’enseignant de langue, il soumet différents documents écrits et oraux à la compréhension des étudiants permettant par ailleurs leur enrichissement lexical thématique.
Pour animer la conférence, les étudiants ont à préparer un diaporama et un discours de présentation et d’explication intégrant des commentaires de documents chiffrés. Les étudiants sont également en charge de l’aspect sociocommunicatif du projet (affiches, annonce sur les réseaux sociaux, etc.) et de la promotion de la conférence dans le département, en invitant des enseignants disciplinaires à intervenir pendant la conférence.