Le numérique en classe de français, état des lieux
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’article INNOVATION du numéro 421 de janvier-février 2019. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !
Par Michel Boiron, Francine Quéméner et Emmanuel Zimmert
Michel BOIRON est directeur du CAVILAM – Alliance française, mboiron@cavilam.com
Francine QUÉMÉNER est spécialiste de programme à l’Observatoire de la langue française, Direction « Langue française, culture et diversités » de l’OIF, francine.quemener@francophonie.org
Emmanuel ZIMMERT est chef de projet multimédia au CAVILAM – Alliance française, ezimmert@cavilam.com
À la demande de l’OIF, le CAVILAM – Alliance française a réalisé une étude sur les usages actuels du numérique dans l’enseignement du français langue étrangère, dans le cadre du Rapport 2018 la langue française dans le monde. En voici les conclusions essentielles.
Si, en 2018, les salles de classe des Alliances françaises et des Instituts français dans le monde sont très souvent équipées d’un ordinateur, d’un vidéoprojecteur, d’un tableau numérique interactif ou de tablettes, l’équipement des classes des établissements publics d’enseignement secondaire et supérieur semble varier du tableau traditionnel à craie aux équipements de pointe, quels que soient les pays.
Alors que ces disparités pourraient être attribuées intuitivement aux inégalités Nord/Sud du fait d’une fracture numérique supposée, la réalité sur le terrain est très différente. Il est tout aussi possible de trouver des établissements très peu équipés dans un pays européen que de rencontrer des établissements dotés de casques de réalité virtuelle en Inde par exemple.
Des compléments aux supports traditionnels
Selon les usages identifiés à ce jour, hors cadre expérimental, les ressources numériques ont presque toutes vocation à être utilisées pour la préparation des cours et en complément des supports traditionnels (méthode papier, photocopies, etc.) et non à les remplacer. Les outils numériques s’intègrent majoritairement à des pratiques pédagogiques déjà anciennes, mais ils facilitent grandement leur mise en place : pédagogie différenciée, pédagogie de projet, autonomie de l’apprenant, approche actionnelle, etc. II devient aisément concevable de combiner dans une même séquence un support audiovisuel, une activité d’écoute et de visionnage, puis de passer à une activité sur support papier et d’enchaîner sur une activité de production orale ou écrite avec l’aide d’un outil numérique, publiée ensuite sur un réseau social ou un espace numérique de travail.
Les tablettes et mobiles constituent eux-mêmes, grâce à leurs fonctionnalités intégrées, des outils pédagogiques précieux. Il est devenu ainsi très facile de photographier, filmer, enregistrer, partager, échanger, d’accéder de façon immédiate à une information et de communiquer avec d’autres usagers.
Avec le numérique, le cours ne se limite plus au temps et à l’espace de la classe. Un travail hors classe, une continuité de l’effort, un partage continu de ressources entre pairs, des échanges entre l’enseignant et les apprenants, des communications vers les parents des apprenants sont possibles. Néanmoins, les enseignants mentionnent très souvent des soucis de matériel ou de stabilité de connexion Internet, quel que soit le pays d’origine. La formation des enseignants, la maintenance des matériels et les politiques institutionnelles restent en outre des points cruciaux du déploiement de ces (nouveaux) usages pédagogiques.
« Il est tout aussi possible de trouver des établissements très peu équipés dans un pays européen que de rencontrer des établissements dotés de casques de réalité virtuelle en Inde par exemple. »
Innovations technologiques et numérique éducatif
Les technologies évoluent rapidement et facilitent l’utilisation des appareils, leur fiabilité, leur déploiement. L’usager n’est plus nécessairement un spécialiste technique.
Avec 8 milliards d’abonnés mobiles dans le monde et un taux de pénétration de 108 % à l’échelle mondiale (avec une amplitude allant de 58 % en Afrique centrale à 157 % en Europe de l’Est) et 52 % du trafic mondial de la Toile (1), les mobiles deviennent petit à petit des supports privilégiés pour l’auto-apprentissage, comme en témoigne le succès rencontré par des applications gratuites (mais avec achats intégrés) comme Duolingo. Les classes virtuelles combinent des fonctionnalités de communication (visioconférence, clavardage) à des outils de présentation (tableau numérique, visionneuse de documents, annotation) et de sondage, permettant de créer un espace virtuel pour les cours en face à face, mais à distance.
Les dispositifs hybrides, qui allient séances en présentiel et cours à distance, connaissent également un essor notable, particulièrement dans les réseaux des Alliances françaises (Alliance française de Bruxelles-Europe, par exemple) et des Instituts français. D’autres expérimentations d’enseignants en France, en Turquie et au Canada, notamment, misent sur l’utilisation en classe de jeux vidéo grand public, de jeux sérieux (activité qui combine une intention de type pédagogique ou informative avec des ressorts ludiques) ou encore de jeux d’évasion (« Escape games »). Ces pratiques expérimentales, pour l’instant à la marge, mettent en lumière l’intérêt croissant pour la ludification de l’apprentissage.
« L’accès aux outils numériques performants se simplifie, se démocratise, devient moins onéreux et permet d’ouvrir de nombreuses pistes déjà efficaces et très prometteuses. »
Ces nouvelles possibilités suscitent aussi des interrogations et des pôles de vigilance. Quelles sont les limites pour les enseignants entre l’univers professionnel et la sphère privée, la différence entre faire preuve de disponibilité, l’attention portée aux apprenants et le fait d’être toujours joignable, de répondre instantanément aux sollicitations à tout moment ?
De même, pour les élèves, se pose la question du temps dédié à l’apprentissage de la matière enseignée par rapport aux autres matières scolaires ; pour les apprenants professionnels, du temps disponible pour l’apprentissage par rapport aux autres activités ou contraintes de la vie quotidienne ou professionnelle. Enfin, le danger de voir émerger deux pédagogies, une destinée aux riches, une autre pour les pauvres, est bien réel. Mais indéniablement, l’accès aux outils numériques performants se simplifie, se démocratise, devient moins onéreux et permet d’ouvrir de nombreuses pistes déjà efficaces et très prometteuses.
—————
- Source : We are social, 2018 Global Digital Report.
—————
Encadré
L’étude en chiffres
La collecte de données a été effectuée auprès des professionnels du secteur privé et public, relayée via les réseaux sociaux. 2 445 enseignants de 128 pays (issus des AF, des IF, des établissements scolaires, enseignants ayant suivi le CLOM du CAVILAM – Alliance française, etc.) ont répondu à une enquête en ligne réalisée entre le 9 avril et le 14 mai 2018. 47 « pays du Nord » (62 % des réponses) et 81 « pays du Sud » (38 % des réponses) selon la définition de la limite Nord/Sud sur Wikipédia (*).
- 88 % des salles de classe des enseignants sondés sont équipées d’un ordinateur et 69,9 % d’un vidéoprojecteur.
- Une grande majorité des enseignants de FLE sondés utilise les outils numériques pour préparer leurs cours : création de documents (77,7 %), recherche de supports, de fiches pédagogiques et d’activités (72,5 %), gestion et stockage de documents (57,1 %).
- 58,1 % des enseignants sondés utilisent le vidéoprojecteur pour diffuser des ressources et des contenus, mais les pratiques pédagogiques ayant recours au numérique, comme la production de contenus multimédias ou la création de projets multimédias demeurent moins répandues (respectivement 39,6 % et 11,5 %).
- 28,5 % utilisent les outils numériques pour évaluer les apprenants.
- 21,6 % des enseignants sondés utilisent une plateforme ou un espace numérique de travail proposé par leur établissement ou mis en place sur initiative personnelle.
- 42,6 % prolongent le cours avec des activités en ligne ou des groupes de discussion sur les médias sociaux, etc.
- 52,3 % communiquent avec leurs apprenants en dehors du cours.
* Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Limite_Nord/Sud
—————
Pour en savoir plus :
Étude complète et ses annexes à consulter sur le site de l’Observatoire de la langue française de l’OIF (http://observatoire.francophonie.org) et téléchargeable à l’adresse suivante : http://observatoire.francophonie.org/wp-content/uploads/2018/09/Apprentissage-Outils-Numériques-Rapport.pdf