Quand le français entre en scène
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique INITIATIVE du numéro 419 de septembre-octobre 2018. Bonne lecture à toutes et tous !
Texte par Clément Balta
Photos : Natalia Gruszka et Lucas Bolea
Après avoir suivi la résidence d’écriture de « 10 sur 10 » (voir FDLM 417, p. 38-39), nous avons assisté à son quatrième Festival international de théâtre francophone pour lycéens, qui se tenait à Poznan, en Pologne, du 25 au 28 mai 2018. Une aventure humaine et éducative d’exception.
Tour à tour les élèves et leurs professeurs montent recevoir leur « diplôme » 10 sur 10 sur la scène du Pawilon de Poznan. Après 3 jours intenses de rencontres, de préparation et bien sûr de représentations, c’est l’heure de la cérémonie de clôture. Des diplômes, oui, et pour tout le monde. « Ici, ce n’est pas un concours », clame Jan Nowak à l’adresse d’une salle comble et comblée. L’important, en effet, c’est le parcours d’apprentissage et de vie commune en français, le progrès dans la langue mais aussi l’aventure humaine. À l’image, finalement, du festival lui-même.
Vous avez dit international ?
Depuis 2015 que l’organise Drameducation – le Centre international de théâtre francophone en Pologne que Jan a fondé avec Iris Munos (voir notre portrait d’« étonnant francophone », FDLM 413, p. 20) –, le festival ne cesse de prendre de l’ampleur. Au point de se parer d’une nouvelle épithète : « international ». Ce ne sont pas moins de 16 troupes de 9 pays qui ont convergé vers Poznan, venues de villes voisines (6 troupes polonaises étaient présentes) ou de pays frontaliers (Biélorussie, République tchèque, Lituanie), mais aussi de plus loin (Albanie, Bulgarie, Espagne, Roumanie) voire de l’autre côté de la Méditerranée (Tunisie).
70 « pièces francophones à jouer et à lire »
À raison de 10 élèves en moyenne et jusqu’à 3 professeurs par troupe, faites le calcul : ce sont près de 200 personnes qui se sont rendues au festival. Le tout, nourri et logé. C’est que Drameducation met les petits plats dans les grands pour convertir chaque année plus d’adeptes au programme 10 sur 10. Composé désormais d’environ 70 « pièces francophones à jouer et à lire » (le tome 5 vient de sortir), il permet grâce à des résidences d’auteurs de créer chaque année de nouvelles œuvres théâtrales. D’une dizaine de pages et avec une dizaine de personnages, celles-ci sont adaptées à un public d’apprenants de français, dans le vocabulaire comme dans les thématiques, résolument contemporaines. Une fois qu’elles sont publiées, n’importe quel enseignant peut s’en emparer et préparer une pièce avec un groupe d’élèves. Avec un objectif tout désigné : la présenter en public au festival de Poznan !
Le cercle vertueux est désormais bien en place. « L’œuf qui a éclos en 2015 est devenu un monstre, il faut le nourrir sinon il nous mange ! », dit malicieusement Iris. Victime de son succès, le festival pourra compter cette année sur la présence de 11 auteurs de la « famille 10 sur 10 ». Ils n’étaient jamais venus aussi nombreux. « C’est pour nous l’occasion de voir monter nos pièces par tous ces jeunes, s’enthousiasme Claudine Berthet, l’auteure suisse d’American Dream, une pièce parmi les premières du répertoire. En écrivant cette histoire, je me mettais dans la peau de gens dont le français n’est pas la langue maternelle. » « Nos pièces ne sont pas destinées à rester dans un tiroir, affirme son compatriote Camille Rebetez, qui a participé à deux résidences. Les élèves donnent du sens à ce que l’on fait. »
Pour ces derniers, c’est l’assurance de rencontrer des auteurs vivants, loin des textes poussiéreux qu’on peut parfois leur enseigner en classe. « Notre interprétation de Folle de paix a été appréciée par l’auteure, Élise Hofner, confie Livia, 14 ans, de République tchèque. Cela nous a vraiment encouragés. Tout a été vraiment motivant et inspirant ! » « J’ai aussi beaucoup aimé les ateliers de théâtre, c’était une super idée de faire ça avec des vrais comédiens et auteurs francophones », ajoute sa partenaire Klara, 15 ans. Organisés en marge des spectacles, ces ateliers ont permis aux apprentis comédiens de s’ouvrir à différents aspects du jeu théâtral et du travail qu’il implique. Avec l’idée de faire se rencontrer les jeunes entre eux, en séparant et en mélangeant les troupes. Un moyen efficace de faire connaissance et de favoriser le « melting-potes » entre élèves de différentes régions et cultures. Le tout en français, et parfois en anglais, car certains d’entre eux sont presque débutants.
Un coup d’accélérateur
C’est la force du projet 10 sur 10. Des enseignantes – car ce sont des femmes qui le portent, et surtout des filles qui y répondent favorablement : « elles sont plus courageuses et motivées que les garçons », nous assure une prof – ont su convaincre des élèves de participer à l’aventure. Certains n’ont le français que comme deuxième voire troisième langue étrangère et n’ont commencé à l’apprendre que 6 mois plus tôt. Hanna, venue de Biélorussie, confirme que le festival agit comme un coup d’accélérateur à l’apprentissage : « Nous prenons les élèves les plus timides et les débutants. Et nous voyons déjà le résultat car ils se servent dans leur vie des phrases du spectacle qu’ils ont apprises ! » L’Albanaise Svetlana apprécie de pouvoir leur proposer des pièces conçues spécialement pour eux « avec des messages forts, actuels. On en a aussi besoin dans la langue maternelle car il y a un côté éducatif. » La Polonaise Ewa abonde : « Il est si difficile de parler de sujets importants et d’enjeux de société avec les jeunes, et on peut le faire de manière efficace grâce à ces textes. » Et si les élèves se rencontrent, c’est aussi le cas des profs, qui peuvent échanger leur savoir-faire et leurs péripéties dramaturgiques, d’autant plus que des troupes ont choisi les mêmes pièces.
Vivre un grand évènement sur le plan humain et théâtral
Mais place au jeu ! Tout au long du week-end vont se succéder les spectacles. Il y a du trac mais aussi beaucoup d’effervescence et d’enthousiasme chez les jeunes. Si certains maîtrisent mieux la langue que d’autres, tous ont un point commun : leur extraordinaire implication. Ils jouent avec le sérieux des enfants. Aucun dilettantisme dans l’air. Venir à Poznan, représenter sa ville, son pays et rendre hommage au travail accompli à travers cette représentation en public, ce n’est pas rien. Et chaque spectacle donne la mesure de leur investissement. « C’est pour eux la possibilité de vivre un grand évènement sur le plan humain et théâtral, se réjouit Beata, de Lodz, en Pologne. Jouer sur une vraie scène ! Cela ne peut que leur ouvrir de nouveaux chemins dans l’évolution de leur personnalité et les aider à surmonter leurs barrières intérieures. »
Le festival francophone de Poznan, c’est donc une aventure à plus d’un titre : pour la langue elle-même, pour les auteurs, les élèves, les professeurs. Mais sa plus grande force c’est que chacun est libre de s’en emparer : elle est à la fois collective et individuelle, et le prolongement de son influence dépend aussi de votre implication. Deux exemples à travers des enseignantes dont nous avons évoqué la « vie de prof » (voir FDLM 417, p. 28-29). Kristina : « 10 sur 10 a repris un festival qui était en Bulgarie depuis 25 ans et lui a redonné un nouveau souffle. Alors vous aussi, vous pouvez monter votre festival ! » Cette année, il s’en est monté un pour la première fois en Arménie. En 2019, 10 sur 10 posera ses valises au Brésil et aux États-Unis. Mais avant cela, en décembre, il se rendra en Tunisie, le pays de Sana : « Ce festival était inoubliable, riche et finalement prometteur. Cette organisation d’un festival 10 sur 10 qui nous a été confiée est un défi et un rêve qui se réalise. » Un rêve à portée de tous les professeurs de français dans le monde.
Pour en savoir plus : www.10sur10.com.pl