Au Costa Rica : sensibiliser à l’actionnel dans la bonne perspective
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique SAVOIR-FAIRE du FDLM 417 de mai-juin 2018. Bonne lecture à toutes et tous !
Par Olga Fatjó et Jean-Claude Péronnet
En 2018, Olga Fatjó est conseillère nationale pour le français en primaire au ministère costaricain de l’Éducation publique (MEP) et Jean-Claude Péronnet est expert technique au Costa Rica à l’Institut français d’Amérique centrale (IFAC) et au MEP.
La réforme des programmes du primaire et secondaire initiée au Costa Rica par le ministère de l’Éducation publique concerne aussi les langues et donc le français. Avec des implications sur la formation et l’évaluation. Retour d’expérience.
Comment mettre en place une évaluation pertinente ? Les nouveaux programmes mis en place au Costa Rica s’inspirent du Cadre européen de référence pour les langues et de la perspective actionnelle. De nombreux stages de formation ont eu lieu pour le secondaire, où les enseignants sont les plus nombreux (l’enseignement du français est obligatoire au Costa Rica entre 13 et 15 ans), mais aussi en primaire, avec une expérience originale d’évaluation en perspective actionnelle.
Cependant, les professeurs de FLE en primaire au Costa Rica ne sont que soixante, et d’autres exercent dans les quatre écoles disposant de sections bilingues. Trente d’entre eux ont suivi un stage, pendant une semaine complète, en juin 2017. La formation était assurée conjointement par le ministère de l’Éducation publique et l’Institut français d’Amérique centrale. L’objectif était de faire comprendre aux enseignants ce que sont les projets et ce qu’est la perspective actionnelle, tout en les faisant travailler dans cette même perspective.
Ce stage s’inscrivait dans la formation continue des enseignants qui devaient, de ce fait, être évalués à l’issue de la semaine. Dès lors, s’agissant d’un stage portant sur la perspective actionnelle et d’une évaluation institutionnelle obligatoire, nous nous sommes demandés quelle évaluation employer et quelle méthode de travail utiliser. Le mieux selon nous était d’immerger les enseignants dans la perspective actionnelle, non par des discours sur la méthode ou la théorie, mais par des actes. Nous avons donc fait, en quelque sorte, de la « méta-perspective actionnelle » : expliquer ce qu’est la perspective actionnelle tout en l’appliquant… Et nous avons donc d’abord expliqué en quoi allait consister le contenu de l’évaluation, son mode et la démarche pédagogique pour atteindre cette évaluation, qui serait à la fois formative et sommative.
La production demandée était la suivante : faire, par groupe, un diaporama expliquant la démarche pédagogique des nouveaux programmes et la perspective actionnelle. En tant qu’évaluation en véritable perspective actionnelle, elle devait sortir du cadre de la formation et toucher un autre public. Comme tout doit avoir une logique dans la perspective actionnelle, nous nous sommes interrogés, avec les enseignants, sur le(s) public(s) visé(s) par cette production qui devait être un véritable outil de communication.
Un message pour trois publics
Trois niveaux de destinataires ont ainsi été définis. En tant qu’outil de formation, ce diaporama servait aux participants du stage eux-mêmes, qui allaient comprendre en agissant et qui, de ce fait, allaient davantage s’investir dans la formation.En communication interne, il pourra être destiné aux collègues absents, du primaire, mais aussi du secondaire à qui ce stage n’était pas destiné mais qui doivent eux aussi appliquer un nouveau programme qui met également en œuvre la perspective actionnelle. Ils pourraient donc se servir des réalisations des stagiaires. En communication externe, il permettra de toucher les acteurs du système éducatif à l’école :
• La direction de l’établissement qui, souvent, ne connaît pas l’enseignement des langues, découvre la notion de projet, doit la comprendre et faciliter sa mise en œuvre.
• Les comités d’évaluation locaux, chargés de la révision et de l’acceptation des épreuves. Ils se trouvent en présence d’une forme inhabituelle d’évaluation et doivent comprendre que ce travail fait partie d’une démarche validée par le ministère et est en cohérence avec les exigences des nouveaux programmes.
• Les parents, qui peuvent être perturbés par le changement complet de pédagogie et dont il faut s’assurer le concours ou tout au moins la compréhension.
Dès lors, le programme de la semaine de formation pouvait être aménagé en fonction de ce but. En premier lieu, découverte progressive des notions avec une définition, négociée avec les enseignants, du mode et du sujet d’évaluation dès la première heure de la semaine.
Chaque jour, durant la dernière heure, les enseignants devaient travailler par groupe pour construire leur diaporama en l’enrichissant et le modifiant au fur et à mesure des apprentissages. Les formateurs avaient un rôle de conseiller, guide, personne-ressource dans cette dernière partie de la journée.
En outre, chaque notion nouvelle était assortie, précédée ou suivie de réflexions individuelles puis collectives, de tâches à accomplir. Le travail en atelier de fin de journée était pré- cédé d’un bilan récapitulatif sur les acquisitions et les démarches pédagogiques de la journée.
Bien sûr, comme il faudrait le faire avec des élèves, une grille de critères collectifs et individuels a été définie avec l’ensemble du groupe. Enfin, le dernier jour de la formation a été consacré aux présentations des diaporamas de chaque groupe devant le groupe classe, suivies à chaque fois d’une discussion, d’une évaluation par les pairs avec prédominance des formateurs qui ont néanmoins tenu compte des évaluations collectives.
Que faire des diaporamas ?
Compte tenu des publics visés et des objectifs fixés, chaque diaporama devait être utilisable en dehors de la formation. Aussi, chaque diapositive devait-elle être assortie ou suivie d’un résumé en espagnol afin que les non francophones, nombreux dans le public visé, puissent comprendre le message. Ces diaporamas peuvent faire l’objet d’une véritable utilisation sociale : ils sont présentés dans d’autres formations d’enseignants et vont figurer sur le site de l’enseignement du français du MEP ; ils seront utilisés dans certaines écoles auprès du public défini en communication externe. Aussi, le texte du diaporama devait-il être écrit en français et résumé en espagnol.
L’objectif visé est de construire un diaporama qui est appelé à servir de présentation de la nouvelle pédagogie mise en place.
À travers ce stage et son évaluation originale, différents aspects de la perspective actionnelle ont pu être expérimentés ou renforcés par les participants. Les enseignants ont dû travailler en groupes, non seulement pour faire des activités ou des exercices, comme dans les formations habituelles, mais pour réaliser ensemble un projet réel. Cela les a conduits à réfléchir à la gestion du temps, au partage des rôles (qui al- lait chercher quelles informations ? comment rédiger en commun ?), à l’organisation du travail. Bien entendu, ce projet les a également conduits à travailler les quatre compétences de communication, mais surtout l’interaction, sans oublier la médiation écrite et orale, pour les non-francophones tels que les parents et les membres de l’administration.
L’objectif visé est de construire un diaporama qui est appelé à servir de présentation de la nouvelle pédagogie mise en place. Il a donc une utilité sociale et constitue en soi une réalisation en perspective actionnelle. Enfin, on a pu noter l’implication réelle des stagiaires : travail au-delà de l’heure limite sur place, travail à la maison ensuite et échange par mails entre membres du groupe. Autant d’indices qui leur ont démontré tout l’intérêt d’une telle pédagogie adaptée à la classe !