Les Champs-Élysées : enfer et paradis
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique LIEU où Jacques Pécheur nous fait visiter les Champs-Élysées, à retrouver dans le numéro 422 de mars-avril 2019. Bonne lecture à toutes et tous !
Des commémorations historiques aux grandes célébrations populaires, des défilés militaires aux cortèges politiques ou syndicaux et à la déambulation touristique, une seule adresse : « Les Champs ».
Au choix dans l’actualité récente : Juillet 2018, des centaines de milliers de Français en liesse se rendent sur les Champs-Élysées pour célébrer l’équipe de France championne du monde de foot. Décembre 2018, des milliers de « Gilets jaunes » investissent la place de l’Étoile et la célèbre avenue, avant que n’éclatent des scènes de guérilla urbaine.
Oui, il se passe toujours quelque chose « aux Champs-Élysées », comme le chante Joe Dassin. Une chose est sûre, dans un cas comme dans l’autre, les images ont fait le tour du monde. Parce que ça se passe sur ce qu’on appelle communément « la plus belle avenue du monde », parce que c’est là que déambulent chaque année des millions de touristes, comme un passage obligé.
Un symbole national
Dessinée dans la seconde moitié du XVIIe siècle par l’architecte Le Nôtre (le paysagiste notamment du château de Versailles) et reliant la place de la Concorde avec son obélisque à celle de l’Étoile (aujourd’hui Charles-de-Gaulle) avec son arc de Triomphe, cette allée de 70 m de large et de 2 km de long concentre nombre de symboles.
Historiquement, les Champs-Élysées sont le lieu d’expression de la souveraineté nationale, où depuis la fin de la Première Guerre mondiale la France, à travers le défilé militaire du 14 Juillet, célèbre ses morts et ses victoires. D’où son nom, hérité de la mythologie grecque, les champs Élysées étant le lieu des Enfers où les héros goûtent le repos après trépas. C’est cette avenue que choisit de descendre le général de Gaulle le 26 août 1944, dans un Paris « outragé » mais un Paris « libéré » de l’occupant nazi. La nation y commémore aussi ses moments-clés, comme le bicentenaire de la Révolution française en 1989. Symboliquement, depuis 1958, le jour de leur prise de pouvoir, les présidents de la République successifs remontent l’avenue, à pied ou en voiture, voire en blindé, pour aller raviver la flamme éternelle qui brûle à côté de la tombe du Soldat inconnu sous l’arc de Triomphe, ouvrage voulu par Napoléon pour rendre hommage aux victoires militaires françaises.
Interdits de manifestations protestataires depuis 1934, les Champs-Élysées retrouvent cette fonction à l’occasion des évènements de Mai 1968, lors du défilé gaulliste du 30 mai qui veut faire entendre la majorité silencieuse face aux mobilisations de la gauche. Plus près de nous, la « Manif pour tous » contre le mariage et l’adoption par les couples de même sexe en avait fait en 2013 son terrain protestataire d’élection et, depuis novembre dernier, les « gilets jaunes » en ont fait leur lieu de visibilité parce que, comme dit l’un deux, « si on veut se faire entendre, c’est là qu’il faut être ».
Un « lieu de mémoire » devenu aussi un lieu de célébration populaire
La projection sur l’arc de Triomphe des visages des footballeurs champions du monde, en 2018 mais aussi en 1998, achève de marquer une désacralisation de ce « lieu de mémoire » devenu aussi un lieu de célébration populaire. Ce dont témoignent le Tour de France, son arrivé s’y déroule depuis 1975, ou chaque célébration du changement d’année. Sans oublier – ferveurs nationale, culturelle et populaire confondues – des funérailles restées dans les annales, celles de Victor Hugo en 1885, qui rassemblèrent plus de deux millions de personnes, et récemment celles du chanteur Johnny Hallyday.
Toutes les marques et grandes enseignes l’ont compris, c’est ici qu’il faut avoir pignon sur avenue : 300 000 personnes l’arpentent chaque jour et autant de clients potentiels, prêts à dépenser en moyenne 1 400 euros chacun. Avec 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaire réalisé par l’ensemble de ses enseignes, les Champs-Élysées valent de l’or ! Pas étonnant que les marques et les champions du luxe se battent à coup de chèques à neuf chiffres pour accrocher leur drapeau. Un grand perdant cependant : le cinéma, même s’il reste quelques salles. On retiendra toutefois l’éternelle rencontre de Jean Seberg et de Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle (1960). Où ? Sur les Champs-Élysées bien sûr.
Vishnumoorthi
Un article bien ecrit a tous les deux etudiants et professeurs. Merci