« Associer utilité de la langue et épanouissement personnel »
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’article FOCUS à retrouver dans le numéro 421 de janvier-février 2019, un entretien avec Jean-Marc Defays, président de la FIPF. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !
Président de la Fédération internationale des professeurs de français, Jean-Marc Defays publie un livre qui défend une approche humaniste de l’enseignement des langues et des cultures. Explications. (Propos recueillis par Sébastien Langevin.)
Le titre de votre ouvrage est très général, Enseigner le français langue étrangère et seconde : quelle est l’ambition de ce livre ?
En fait, cet ouvrage est modeste et ambitieux à la fois car ses intentions sont de présenter un panorama général de toutes les questions qui se posent à un enseignant de français langue étrangère ou seconde, ou de manière plus général de langue étrangère, une fois qu’il ou elle entre dans sa classe. C’est donc une perspective très panoramique, systémique, mais je suis bien conscient que toutes les questions abordées mériteraient de plus longs développements. Cet ouvrage est donc conçu pour les jeunes enseignants qui se préparent au métier de professeur de FLE, comme pour des enseignants déjà expérimentés qui veulent actualiser leur pratique ou qui, sans y avoir été initiés, sont confrontés à un public hétérogène, ce qui est de plus en plus souvent le cas, avec des situations de français langue maternelle, français langue seconde et français langue étrangère. Beaucoup d’enseignants, toutes disciplines confondues, doivent adapter leurs cours à ces classes et à ces profils très variés.
« On ne peut pas proposer des leçons clé sur porte ; c’est au professeur de les sélectionner, de les adapter, voire de les créer lui-même »
Le but est donc d’aider les professeurs ?
C’est effectivement le but de l’ouvrage, d’aider tous ces (futurs) enseignants, surtout en leur faisant prendre conscience des ressources, des variétés et des difficultés, et en proposant des pistes de réflexions et d’actions, mais en tout cas sans donner de solutions toutes faites. Le professeur est la personne la plus à même à choisir les options et à prendre les décisions qui conviennent pour un public, à un moment, en vue d’objectifs donnés. Je répète toujours à mes étudiants, avant de leur donner conseil, que « ça dépend » de la situation d’enseignement dans laquelle ils se trouve(ro)nt. On ne peut pas proposer des leçons clé sur porte ; c’est au professeur de les sélectionner, de les adapter, voire de les créer lui-même.
Comment résumer l’approche humaniste que vous avancez dans le sous-titre ?
On constate que l’histoire de la didactique des langues étrangères est souvent passée d’un extrême à l’autre. À une certaine époque, on n’envisageait l’apprentissage de la langue que pour elle-même, pour l’intérêt de sa grammaire et celui de la culture qu’elle véhicule, ainsi que pour le seul épanouissement intellectuel des élèves. De là, on est passé à une didactique fonctionnelle, instrumentalisée, utilitariste, comme c’est le cas avec certaines méthodes communicatives et actives dont la seule finalité est de rendre capable de pratiquer la langue, de préférence sur objectif spécifique, dans un contexte professionnel. Elles ne sont pas à rejeter, évidemment, mais je pense qu’il est l’heure de revenir à une conception moins radicale où sont associés l’utilité de la pratique de la langue et l’enrichissement personnel de son apprentissage. Je suis convaincu qu’employabilité et épanouissement peuvent aller de pair.
L’apprentissage d’une langue a donc de multiples buts ?
Cet apprentissage ne devrait pas avoir comme seul objectif des compétences communicationnelles. Je pense que l’apprentissage d’une langue trouve son profit non seulement dans le but à atteindre mais également par le processus à suivre, la découverte d’une autre manière de dire et de voir le monde, et surtout la rencontre d’autres personnes. C’est en tout cas la conception humaniste que je souhaiterais retrouver dans une didactique des langues moins ciblée et surtout moins pressée. L’apprentissage d’une langue est un apprentissage particulier par rapport aux autres ; il implique un investissement personnel, social, psychologique, culturel, affectif incomparable. Il faut retrouver dans l’usage de la langue et dans la pratique d’une culture que l’on envisage en classe tout cet aspect humaniste qu’on a un peu laissé de côté, en estimant même parfois que les différences culturelles constituaient un handicap à la communication. On peut constater tous les jours dans la presse que le monde a autant besoin de compétences culturelles (et pas seulement celles instrumentalisées dans beaucoup de méthodes) que de compétences linguistiques à proprement parler pour que les hommes puissent s’entendre.
« Les professeurs aspirent maintenant à rendre une dimension plus personnelle, culturelle, humaine à leur enseignement comme à l’apprentissage de leurs élèves, sans cette obsession de devoir suivre un programme préparé pour toute l’année et réussir des tests à la fin »
Cela recoupe la distinction langue de culture contre langue de service que vous soulignez ?
Ce n’est pas moi qui fais cette distinction-là : je la conteste, au contraire. Je pense qu’il n’y a pas de langue de service sans qu’une culture lui soit associée, même discrètement, ni de langue de culture sans qu’elle ne rende des services. La culture n’est d’ailleurs pas un luxe, elle a une utilité fondamentale, même si c’est de manière diffuse ou à plus long terme. On doit par exemple cesser de considérer l’anglais seulement comme langue de service, et même comme une langue a-culturelle ; non seulement c’est lui porter préjudice en la réduisant ainsi, mais c’est surtout oublier que toutes les langues induisent des conceptions et des attitudes culturelles. Ce n’est pas mieux d’estimer que le français n’est qu’une langue de culture, alors qu’elle est tout à fait capable de rendre les mêmes services que l’anglais, au même titre que toutes les langues du monde. Cette distinction ne repose donc que sur des critères de politique linguistique, de stratégies économiques, qui n’ont que le poids qu’on leur donne.
Cet aspect humaniste va à l’encontre des pratiques actuelles ?
Je rencontre beaucoup de professeurs, à différents endroits, à différents niveaux, et mon intention est en quelque sorte de répondre à leur frustration par rapport aux méthodes contemporaines qui ne visent que l’efficacité à court terme. Rares sont les professeurs de langues qui ne se sentent pas contraints par les objectifs aussi limités qu’exigeants, dictés notamment par des référentiels tel le Cadre européen de référence pour les langues, par exemple, qui est un merveilleux outil pour autant qu’on ne le considère pas comme une fin en soit. Les professeurs aspirent maintenant à rendre une dimension plus personnelle, culturelle, humaine à leur enseignement comme à l’apprentissage de leurs élèves, sans cette obsession de devoir suivre un programme préparé pour toute l’année et réussir des tests à la fin.
Pourquoi un chapitre entier de votre ouvrage est-il consacré à la motivation des apprenants ?
Il faut être réaliste : tout est tributaire de la motivation des apprenants, quelles que soient la qualité des méthodes, la richesse des ressources, le zèle du professeur. Si quelqu’un a envie d’apprendre, il va volontairement ou même involontairement mettre en œuvre toute sa volonté et toute son intelligence pour y parvenir. Je pense que la pédagogie contemporaine, parfois un peu racoleuse, risque d’être contreproductive à cet égard. En présentant l’apprentissage comme étant quelque chose de facile et de « fun », assisté par les méthodes performantes et des didacticiels sophistiqués, on n’encourage pas toujours les apprenants à prendre l’initiative personnelle et à fournir les efforts tout aussi personnels nécessaires à l’apprentissage. On se souvient qu’en certains endroits et à certaines époques, des langues étaient apprises passionnément et brillamment alors que c’était très difficile, voire décourageant.
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Extrait
Choisir, programmer et optimaliser les activités d’enseignement
« En didactique, on a désormais compris les limites d’un enseignement qui ne laissait d’autre option aux apprenants que celle de s’adapter au professeur, aux modalités et aux contenus de son cours. Aussi leur donne-t-on un rôle de plus en plus important dans le processus d’enseignement : on les considère comme des partenaires dans la définition des objectifs du cours, on tient compte – autant que les circonstances le permettent – de leurs besoins spécifiques, de leur situation particulière, de leurs stratégies cognitives personnelles, et on attend d’eux qu’ils prennent en main leur apprentissage et qu’ils participent à celui de leurs condisciples dans les interactions en classe. Le professeur n’est donc plus le “seul maître à bord” et les apprenants doivent assumer leur part de responsabilités dans la réussite (ou l’échec) de leur acquisition de la langue étrangère, ce qui n’est pas sans effet positif sur leur motivation. »
Jean-Marc Defays, Enseigner le français langue étrangère et seconde, p. 255, éditions Mardaga.