Rasez les murs
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique de formation des enseignants QUESTION D’ÉCRITURES de Paola Bertocchini et Edvige Costanzo, à retrouver dans le numéro 421 de janvier-février 2019, avec la fiche d’activités à télécharger (à la fin de l’article). Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !
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« Question d’écritures » est une rubrique destinée à la formation des enseignants. Comme son nom l’indique, dans chaque numéro du FdlM, nous proposerons un moment de réflexion sur deux pages autour d’une situation d’écriture élucidée en trois points :
- Un rappel des caractéristiques linguistico-culturelles d’un élément déclencheur qui pourra tour à tour concerner un lieu, une modalité, une typologie, etc.
- La justification du choix d’utilisation de l’amorce en question dans la classe de FLE.
- La proposition d’une démarche pédagogique avec exemplification des tâches et des activités qui peuvent mener à une production écrite.
La réflexion sera accompagnée d’une fiche d’activités pour la classe, à destination des enseignants, qui indiquera le niveau des destinataires, l’objectif de la tâche finale en production écrite et les matériaux à utiliser (papier-crayon, médias, Internet…).
Pour chaque activité on précisera l’organisation du travail (individuel, binôme, groupe, plénière…) et la/les compétence visée (CO, CE, PO, PE… mixte).
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« Un mur est une arme redoutable. C’est l’une des plus dangereuses avec laquelle vous pouvez frapper quelqu’un. » (Banksy)
Oui, les murs sont redoutables. Si leur fonction première « sert à enclore un espace, à soutenir des terres, à constituer les côtés ou les divisions d’un bâtiment et à en supporter les étages » (Larousse), elle est trop liée au quotidien pour qu’on puisse penser que c’est de là que vient le danger. En réalité, les murs sont d’autant plus redoutables qu’ils s’éloignent de cette fonction pour acquérir tout le pouvoir évocatoire que l’association à d’autres mots comporte et, ce, surtout dans les domaines de l’histoire et des arts.
Si le mur des Lamentations, le Mur des Fédérés, le mur de Berlin, dans leur matérialité, évoquent des moments et des époques bien définis de l’histoire ancienne ou récente, d’autres murs ont le pouvoir de nous transporter dans des mondes moins réels mais non pour cela moins importants.
Tel est le cas du « quatrième mur » au théâtre, cette paroi virtuelle en bord de scène, censée séparer les acteurs du public. Et du « mur » sartrien au « petit pan de mur jaune » de La Recherche, les couleurs et la matière dont se parent les murs sont innombrables.
La parole des murs : les graffitis
Mais les murs ont aussi la parole : les graffitis. Des mots isolés, des images, des phrases, des citations s’étalent sur ces surfaces qui deviennent du coup autant de pages où l’on peut exprimer ses émotions, ses idées, où l’on peut blaguer, condamner et toujours… s’exhiber, car écrire sur les murs, c’est surtout occuper un territoire pour laisser une trace de soi-même.
Et l’histoire des graffitis vient de loin. Si le mot vient de l’italien, remonter à son origine grecque signifie déjà prendre en charge les différentes formes que peut prendre un graffiti, le grec graphein pouvant signifier écrire, peindre ou dessiner, exactement ce qui caractérise les graffitis aujourd’hui où, grâce à ce polymorphisme, ils font partie des arts de la rue et, selon les moyens utilisés, ils deviennent, entre autres :
- tags, quand ils dessinent, de façon très travaillée, le nom de l’artiste (généralement un pseudonyme) à l’aérosol, au marqueur ou au pulvérisateur ;
- pièces, quand les graffitis sont plus riches en couleur et formes et le graffeur utilise des murs dans des usines désaffectées, sous des ponts, dans des terrains vagues…, légalement et parfois sous commande ;
- flops, formes intermédiaires entre tags et pièces, peintes en un seul coup de bombe, en deux couleurs et réalisées en quelques minutes.
Arts de la rue depuis quelque temps, mais écritures-mémoires depuis qu’ils existent, c’est grâce aux graffitis que l’on connaît, par exemple, les slogans électoraux des candidats à des charges publiques dans l’ancienne Pompéi où les murs enregistrent le souvenir d’un passage (Arruntius hic fuit cum Tiburtino = Arruntius a été ici avec Tiburtinus), une affirmation banale d’amitié (Sodales avete = Salut les copains !) et mille autres moments de la vie quotidienne. Et c’est encore grâce à eux que les événements de mai 68 restent encrés dans la mémoire collective. Des cris de jeunesse : « Nous ne voulons pas d’un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui », des phrases parfois ironiques, dont la structure tient souvent des paradoxes surréalistes (« Il est interdit d’interdire », « Soyez réaliste, demandez l’impossible »…), couvrent les murs et, par leur efficacité rhétorique, une fois la révolte estompée, deviennent petit à petit des slogans dont s’empare même la publicité (ex : « Il est interdit d’interdire de vendre moins cher » de Leclerc) et le marché des souvenirs touristiques.
Les graffitis en classe de FLE
Étant donné ces caractéristiques, qui font des graffitis un témoignage culturel et linguistique très important à n’importe quelle latitude et dans n’importe langue, on ne peut que leur souhaiter la bienvenue en classe de FLE. Leur introduction étant donc justifiée, voici des exemples du travail que l’on peut effectuer en réception et en production et à différents niveaux de compétences, à partir des écrits sur les murs.
Pour ce qui est de la langue, en réception, on peut travailler sur des corpus de phrases :
- pour en dégager les structures linguistiques (des simples « Non à… », « À bas …. », « Fin de… », « Plus de… » à de simples phrases affirmatives comme « le cinéma s’insurge », « Je déclare l’état de bonheur permanent », jusqu’aux énoncés impératifs « délivrez les livres », « refusez l’intoxication des média »…) ;
- pour faire ressortir les procédés rhétoriques qui ont transformé certains graffitis en slogans à part entière ;
- pour identifier les actes de parole dont ils sont porteurs dans la communication (protester, informer, exprimer une opinion, conseiller, interdire…).
En production, on pourra demander, en complexifiant la démarche, des tâches du type :
- donner des situations à compléter par des graffitis dont on donne les amorces ;
- pasticher des graffitis existants en créant d’autres contextes situationnels ;
- produire ex nihilo des graffitis pour des simulations de concours, comme par exemple, « Les murs nous interpellent », « Un mur vous attend : exprimez-vous librement »…
Mais il ne faut pas oublier le côté culturel que les graffitis véhiculent et qui peut constituer une difficulté importante pour des apprenants dont la culture est plus « lointaine » du système français. Et cela vaut non seulement pour des écritures murales comme les « dazibao » chinois, affiches manuscrites et placardées aux murs pour critiquer l’administration devant lesquelles les gens se réunissent pour débattre, mais aussi pour des formes apparemment plus proches d’un système culturel occidental comme celle du « papelógrafo », sorte d’affiche revendicative, qui se présente, au Chili, comme un rouleau de papier assez long et large, portant un slogan accompagné parfois d’une peinture, collé clandestinement sur un mur situé près d’un espace public.
Tout cela demande une démarche interculturelle qui ne peut que partir d’un travail de comparaison des formes pour identifier ressemblances et différences des fonctions des écrits et continuer pour remonter aussi, en fonction du niveau de compétences, aux moments historiques qui ont donné naissance à telle ou telle forme, en considérant l’histoire comme le dernier volet sur la parole des murs.
Téléchargez la fiche d’activités
Bibliographie
- Bertho A., 2015, « Les murs parlent de nous. Esthétique politique des singularités quelconques », Cahiers de Narratologie, mis en ligne le 13 janvier 2016, disponible sur le site : http://journals.openedition.org/narratologie/7410
- Calo F., 2003, Le Monde du Graff, Paris, L’Harmattan.
- Fersing K., 2011, Murs blancs, peuples muets entre visibilité et invisibilité, ethnographie des pratiques de graff vandales et semi légales, Thèse de doctorat.
- Pagès Y., 2017, Tiens, ils ont repeint, Paris, Editions La découverte.
- Sandevoir F., 2008, Y’a écrit kwa – Le graffiti expliqué aux curieux et aux débutants, Éditions Alternatives.