Eddy Moniot : Il était une voix
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, le Portrait d’EDDY MONIOT, jeune comédien découvert dans un documentaire sur les concours d’éloquence. Un article à retrouver dans le FDLM 421 de janvier-février 2019.
Découvert dans un film documentaire sur l’art de l’éloquence chez des jeunes de Seine-Saint-Denis, Eddy Moniot a depuis fait ses gammes de comédiens et écrit un seul-en-scène. Portrait d’un jeune talent qui montre la voie sans se prendre pour une diva. (Par Clément Balta).
N’est-il pas paradoxal de brosser le portrait de quelqu’un qui s’est fait connaître pour son éloquence ? Comment retranscrire la vivacité des gestes, la profondeur des intonations, la modulation de la voix ? Heureusement, il existe pour apprécier le talent oratoire de ce jeune musicien des mots aux faux airs de Bruno Mars un film documentaire qui a fait grand bruit : À voix haute.
Diffusée d’abord sur Internet puis à la télévision et enfin sur grand écran (en 2017), cette œuvre de Stéphane de Freitas (coréalisée par un certain Ladji Ly, depuis multiprimé pour son film Les Misérables) avait pour but de faire connaître le concours d’éloquence que le réalisateur avait lui-même lancé en 2012 dans le département francilien de la Seine-Saint-Denis. Eloquentia, c’est son nom, est un programme qui revendique « la culture du débat et du dialogue » et prône « la force de la parole » – le sous-titre du film. Chaque année des jeunes s’affrontent au cours de joutes oratoires sur un sujet donné dont ils doivent défendre ou réfuter la thèse. La prochaine finale aura lieu le 8 avril 2019, dans le grand amphithéâtre de l’Université Paris 8 de Saint-Denis. Petite association qui ne connaît pas la crise, Eloquentia a désormais essaimé dans toute la France et son concours est désormais national.
Eloquentia, la révélation
En ouverture d’À voix haute, l’un des participants proclame : « Je suis là parce que ça peut changer ma vie. » Il n’est pas trop fort de dire que c’est ce qui est arrivé au vainqueur de l’édition 2015, héraut devenu héros d’un film qui l’a révélé. « Au départ, dit Eddy Moniot, je m’inscris juste pour me faire remarquer car depuis tout petit je veux être comédien. Le premier jour de formation, on nous demande notre rapport à la parole. Je fanfaronne, dis que j’aime les mots, m’amuser avec eux, rire, etc. Puis Elhadj raconte qu’il est parti en Guinée pour construire une école avec son association et que la police l’a menacé de mort s’il ne payait pas un pot-de-vin. Et que la parole l’a servi à ne pas mourir ! C’était pour lui une arme pour se défendre. Leïla, elle, voulait l’utiliser pour promouvoir la cause des femmes. Cristina, pour vaincre sa timidité. Camélia, pour changer le monde ! Bref, j’ai compris que j’étais un petit rigolo… Ç’a été une prise de conscience. »
D’autres suivront, chez cet étudiant volubile alors en licence de théâtre à Paris 8, chez qui la culture de l’échange était déjà un culte familial. Sa mère, débarquée très jeune en France de Tunisie, ne lui a jamais imposé de faire les choses sinon de se demander pourquoi les faire. De son père, un « génie » touche-à-tout de l’aveu même de son fils, il cite cette phrase : « ‟Eddy, tu parles, tu parles, c’est bien, mais écoute un peu plus car sinon tu n’apprendras jamais rien.” Moi j’avais 16 ans, j’aimais surtout jouer aux jeux vidéo… Mais durant la formation Eloquentia, je mesure combien mon père a raison. Je perds donc mon premier objectif de vue, me faire repérer, pour me trouver. Je me rends compte que jusque-là j’ai surtout été nombriliste et ça me fait un choc ! Paradoxalement, si c’était une formation en art oratoire, j’ai surtout appris l’écoute. Rien que ça, ça a changé ma vie : mon regard sur les autres a totalement évolué. »
« Durant la formation Eloquentia, je perds mon premier objectif de vue, me faire repérer, pour me trouver. Paradoxalement, si c’était une formation en art oratoire, j’ai surtout appris l’écoute. Rien que ça, ça a changé ma vie »
La bouche, l’oreille, les yeux. Les sens sont là, l’essence de la parole aussi. Eddy en éprouve les vertus libératoires durant ces six semaines de formation et de concours. La main suit : Eddy écrit tout le temps, sur ses cahiers, sur son ordi, sur l’écran noir de ses nuits blanches. « En fait j’avais un avantage sur les autres c’est que je n’avais pas 5 jours de préparation mais 10 ! Plus j’écrivais, plus ça me stimulait. J’étais tellement passionné que j’ai même arrêté d’aller en cours. » Cette énergie, cette frénésie se double d’une heure trente de réflexion récurrente, gymnastique de l’esprit qui s’exprime dans une philosophie réellement en marche. 1 h 30, c’est le temps qu’il lui faut pour parcourir à pied les 10 km qui relie son village picard de Corcy – « y a rien là-bas, pas une boulangerie, y a plus de gens dans le cimetière que dans les maisons ! » – à la gare. Le manque d’argent est la cause de cette marche forcée ? Il en fait justement une force. « Aujourd’hui, c’est une méditation, je ne pourrais plus m’en passer. Je me suis réapproprié mon cerveau par cet exercice. Et le fait de libérer ma parole, d’écouter les autres, m’a fait comprendre qu’il fallait s’affranchir de ses préjugés et même de ses soucis matériels et s’ouvrir au monde, faire les choses qui nous plaisent vraiment et aller au bout de ses passions ! »
Ce qui est formidable quand on écoute Eddy Moniot, c’est qu’on a l’impression que la théorie ne précède jamais l’expérience : qu’il ne nous vend pas la morale de la fable avant que de l’avoir récitée. « Quand j’étais petit, révèle-t-il, un prof de théâtre m’a dit que j’avais du talent. Je l’ai remercié mais il m’a dit que ce n’était pas un compliment. Que j’allais me reposer sur ce talent et ne pas comprendre que ça ne suffit pas. En devenant à mon tour formateur Eloquentia, je me suis rendu compte que le talent n’existait pas vraiment en fait : à partir du moment où on a envie, qu’on travaille et fait des sacrifices, on y arrive, quoi qu’il se passe. J’en suis persuadé, pas parce que je l’ai décidé, parce que je l’ai vu. Et c’est magnifique à voir. » C’est bon à entendre aussi, car le garçon n’est pas seulement convaincant mais convaincu : c’est d’ailleurs pour lui la première recette de l’éloquence.
« Le fait de libérer ma parole, d’écouter les autres, m’a fait comprendre qu’il fallait s’affranchir de ses préjugés et même de ses soucis matériels et s’ouvrir au monde, faire les choses qui nous plaisent vraiment et aller au bout de ses passions ! »
Car après son succès au concours, il a lui-même dispensé des cours d’art oratoire – à l’université mais aussi au collège, au lycée et même en entreprise – pour Indigo, la société de Stéphane de Freitas dont la vocation sociale pour la liberté d’expression et d’insertion (on y travaille aussi les entretiens d’embauche) fait florès. « Les gens les plus éloquents, poursuit le jeune homme, ce sont ceux qui sont sincères et authentiques. Quand on travaille sur un sujet, il arrive un moment où on ne réfléchit même plus, on est. Le but c’est ça, c’est d’arriver à prendre la parole et à parler de ce qui vous tient à cœur. Parce que peu importe la thèse à défendre ou à combattre, il faut parvenir à retourner le sujet pour dire vraiment ce qu’on pense et ce qu’on ressent. »
Joue-la « Com’Eddy »
La petite révolution Eddy Moniot est, on l’a dit, en marche. Membre du jury qui l’a couronné en 2015, Édouard Baer le repère. Il lui donnera son premier rôle au cinéma, dans Ouvert la nuit, sorti en 2016. Il fera quelques apparitions ici et là, en présentateur météo d’occasion sur la chaîne TMC, ou lors de chroniques décalées au micro d’Europe 1. Surtout, son envie de devenir comédien prend forme, le voilà sur les planches dans Les Fantômes de la rue Papillon, avec le chanteur Michel Jonasz, dans une histoire de fraternité intergénérationnelle et religieuse. Bientôt, il va présenter son propre spectacle, un seul-en-scène au nom prédestiné : Com’Eddy. C’est son ancienne prof d’expression scénique à Eloquentia qui l’a trouvé. « J’ai eu un coup de cœur artistique et humain pour ce jeune homme avec qui je partage la passion de la transmission, dit Alexandra Henry, devenue sa “manageuse”. Eddy, c’est d’abord un sourire gigantesque, une agitation joyeuse pour la vie qu’il ne cesse de voir belle ! C’est un auteur qui manie les mots avec une aisance impressionnante, il s’amuse et joue avec la langue française tout en transmettant un message positif sur le monde qui l’entoure. Aujourd’hui il parcourt la France à la rencontre de jeunes qui, comme lui, ont de grands rêves et il les encourage à les suivre. »
Pour lui, le rêve devient donc réalité. Est-ce cela qu’on appelle une vocation ? La morale de cette belle histoire tient peut-être dans l’étymologie même du mot : chez l’éloquent Eddy Moniot, la voix a tracé la voie.
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Eddy Moniot en 6 dates
1994 : Naissance aux Lilas (93)
2015 : Gagne le concours Eloquentia
2016 : Tourne dans Ouvert la nuit, film d’Edouard Baer
2017 : A voix haute, film documentaire de Stéphane de Freitas
2018 : Les Fantômes de la rue Papillon, pièce de Dominique Coubes
2019 : Com’Eddy, premier seul-en-scène
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Premier concours international d’éloquence en français
Le 17 mars 2020 devait se tenir, sous la coupole de l’Institut de France, à Paris, la grande finale du concours international d’éloquence en français. Lancé par l’Institut français en partenariat avec Eloquentia et le soutien de nombreuses organismes, ce concours devait départager 19 jeunes candidats venus des quatre coins du globe, sous l’oeil vigilant d’un jury présidé par Leïla Slimani.
Si la pandémie a malheureusement empêché sa tenue, nul doute que cette initiative porteuse et prometteuse retrouvera sa place dans un avenir proche. En attendant, vous pouvez retrouver des entretiens avec quelques-uns des candidats sélectionnés sur le site de l’Institut français.
Luisa Bombardi
Vraiment très, très intéressant! Merci de m’avoir fair connaitre ce jeune talent! Je regrette d’avoir ratéce documentare au festival de littérature à Mantoue (où je me souviens qu’il etait passé) et j’espère arriver à le récupérer. Luisa bombardi