« Le français a de l’avenir partout »

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’ENTRETIEN de la rubrique « Langue » avec MARIE VERDIER, journaliste au service international du quotidien français La Croix, spécialiste des Balkans, de l’Europe du Sud et du Maghreb. Un Entretien à retrouver dans le numéro 427 de janvier-février 2020.


Algérie, Belgique, Haïti, Israël, Liban, Madagascar, Maroc, La Nouvelle-Orléans, Pondichéry, Québec, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Suisse et Vatican : 15 pays pour un Tour du monde du français (La librairie Vuibert, 2019) – forcément non exhaustif – que nous fait partager Marie Verdier, coordinatrice de l’ouvrage. (Propos recueillis par Clément Balta.)

 

Quelle a été l’origine de cette série d’articles sur le « français dans le monde » parus dans La Croix entre 2017 et 2019, avant d’être réunis en volume ?

C_Maxime Matthys_La Croix

Marie Verdier : Comme tous les quotidiens, La Croix cherche pour l’été des sujets qui sortent de l’ordinaire. On lance alors une sorte d’appel à projet, totalement ouvert, dans la rédaction. J’avais déjà proposé une série quia duré plusieurs années sur les expressions françaises, mais avec un angle journalistique particulier :celles dont on peut localiser l’origine. On retournait sur les lieux de naissance de ces expressions pour les expliquer et voir comment elles avaient survécu : « c’est la Bérézina », « Tonnerre de Brest », « Aller à Canossa »…

 

Cela vous a donné envie de poursuivre sur les différents pays où s’est implantée la langue française ?

C’était plutôt un préalable. Surtout, au fil de mes reportages, notamment au Maghreb où je me rends pour des sujets politiques, je me suis rendu compte que beaucoup de mes interlocuteurs avaient un rapport à la langue française singulier. Souvent passionnel, dans l’amour ou dans le rejet. Un rapport compliqué et parfois douloureux qui m’a semblé tout à fait propre au français. Je me suis dit que ça serait intéressant d’aller dans ces pays, ces endroits où on le parle, même de manière marginale, et d’interroger les gens sur leur rapport à cette langue, de savoir pourquoi et dans quelle mesure ils la parlent. C’est bien sûr souvent une affaire de colonisation, mais pas seulement. Et il s’agit aussi de savoir comment ils vivent le français aujourd’hui, comme vit le français hors de France. Et c’est ainsi que j’ai proposé cette série, que j’ai coordonnée avec des journalistes et correspondants du journal. J’ai moi-même écrit 5 articles (Belgique, Haïti, Madagascar, Maroc, Suisse). 14 sont parus dans La Croix, et un quinzième a été ajouté pour le livre, Israël.

« Beaucoup de mes interlocuteurs avaient un rapport à la langue française singulier. Souvent passionnel, dans l’amour ou dans le rejet. Un rapport compliqué et parfois douloureux qui m’a semblé tout à fait propre au français. »

Quelles sont les découvertes occasionnées par cette quinzaine de reportages ?

Ce sont d’abord beaucoup de belles rencontres. Pour certains, le français a pu être un havre, une part de liberté, d’ouverture sur le monde, que ce soit grâce à la richesse des écrivains français ou à l’histoire de la France elle-même. C’était souvent très émouvant. Et dans le même temps, il y a ce rapport douloureux à la langue que j’évoquais. Lié à l’histoire mais aussi au poids de la France sur la langue, à une volonté de maîtrise par-delà les frontières nationales. Ç’a été une énorme surprise de voir à quel point cette obsession, française, de la pureté de la langue, orchestrée notamment par l’Académie française, pesait encore. Et cela a trait à l’histoire même du français en France. Car ce qui s’est passé avec le français et les langues dans les pays où elle s’est implantée, la France l’a fait sur son propre sol avec les langues dites régionales. Conséquence, les locuteurs francophones sont extrêmement inhibés.Ils ont tous peur de mal parler français. J’étais parfois émerveillée par le français d’une personne dont ce n’était pas la langue maternelle, et presque toujours elle commençait par s’excuser des fautes qu’elle allait faire… Ça n’arrive pas avec un locuteur anglophone. Vu la façon dont tout le monde massacre allégrement l’anglais je ne dis pas que c’est un modèle à suivre, mais ça a au moins le mérite que les gens osent s’exprimer et communiquer. De ce point de vue, c’est particulièrement problématique pour ceux qui sont malgré tout obligés de parler français.

 

Vous pensez à l’Algérie, où le français est la langue qui permet d’accéder à l’enseignement supérieur ?

C’est un exemple particulièrement parlant, surtout si on examine le cas des berbérophones. Ils doivent d’abord apprendre l’arabe qu’ils ne connaissent pas, avant d’être sommés de se mettre aussi au français s’ils veulent faire des études. Résultat, le français devient une langue de ségrégation. C’est aussi le cas à Madagascar, au Maroc et dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Seule l’élite a les moyens d’inscrire ses enfants dans les écoles et lycées français, qui sont de très bonne qualité mais très onéreux. On est finalement dans une reproduction élitiste par la langue française.

 

Les politiques éducatives de ces pays ne sont-elles pas également en cause ?

Effectivement, il y a eu des drames – et ce n’est pas fini. Qu’on pense aux politiques d’arabisation ou de malgachisation, très mal menées. La place du français y est encore débattue : cet été le ministre algérien de l’Éducation prônait même le passage à l’anglais dans l’enseignement supérieur. Le Maroc quant à lui entend « refranciser » dès le primaire, mais cela fait plusieurs années qu’ils l’annoncent sans le mettre en œuvre, faute de moyens.La formation des enseignants, c’est une vraie question. À Madagascar, j’ai rencontré des instituteurs qui se retrouvent à devoir dispenser des cours de français alors qu’ils le maîtrisent à peine… Pendant longtemps les grandes institutions comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) n’ont pas été très performantes face à ces politiques désastreuses. Elles ont désormais une ligne claire de soutien aux langues nationales, comme avec le programme ELAN. Les premières acquisitions doivent se faire dans la langue maternelle pour être vraiment assimilées, avant que le français ne vienne en appui, dans un second temps. La promotion du multilinguisme est aujourd’hui quelque chose d’acté.

« L’idée-force du livre, c’est de montrer que chaque personne qui parle le français peut et doit se l’approprier. Le français ne s’en porte que mieux dans les pays où il vit sa vie. C’est comme ça qu’il progresse, et non pas en ayant un œil rivé sur Paris »

Est-ce pourquoi « cette déambulation linguistique planétaire » dont vous parlez dans votre introduction est « un hommage aux couleurs métissées de notre langue » ?

Pour moi c’était une découverte devoir combien une langue a besoin d’être acclimatée pour vraiment s’implanter : on ne peut pas parler partout, sous toutes les latitudes, exactement la même langue qu’à Paris ! C’est pourquoi on a aussi parsemé les articles de quelques expressions locales, québécoises, belges ou sénégalaises. Mais l’idée-force du livre, c’est de montrer que chaque personne qui parle le français peut et doit se l’approprier. Le français ne s’en porte que mieux dans les pays où il vit sa vie. C’est comme ça qu’il progresse, et non pas en ayant un œil rivé sur Paris, en s’inquiétant de savoir si on le parle comme il faut. Le français a de l’avenir partout, si on sait le défendre et le promouvoir. Si on le fait vivre.

 

Ce tour du monde relève cependant une certaine fragilité du français un peu partout. Il n’a pourtant jamais été aussi parlé…

Oui mais en même temps la planète n’a jamais été aussi peuplée… Raison de plus pour avoir une certaine« noblesse » de la politique et soutenir cette langue française. Une Alliance française qui ferme dans une ville, c’est un peu le français qui s’éteint. La France doit assumer son rôle. Or elle sous-estime combien avoir une langue en partage créée des proximités, des liens supérieurs. Investir dans le français, c’est tout bénéfice mais c’est de l’investissement à long terme. L’OIF, à cet égard, s’égare dans son ouverture sans fin à des pays qui sont tout sauf francophones. Avec son manque de moyens, il ne lui sert à rien d’être une minuscule ONU. L’institution devient trop politique et perd son objet. Elle devrait se recentrer sur la langue, même si cela peut se faire aussi au service d’actions diverses sur le terrain, actions pour le maintien de la paix ou surveillance des élections.

« Ce qui est encourageant c’est devoir ce français qui s’autonomise. Comment des communautés, des pays, des États se le réapproprient. On sort des problématiques coloniales et on décèle une langue qui reste utile dans plusieurs coins du globe »

Vous évoquez aussi des lieux où la présence du français est parcellaire, ou moins connue, comme la Nouvelle-Orléans, Pondichéry et le Vatican.

Nous sommes allés à la Nouvelle-Orléans pour la célébration de ses 300 ans d’existence. Là, ce n’est plus la langue de l’élite, c’est l’inverse ! Celle d’un peuple brimé et interdit de parler sa langue. Aujourd’hui elle la redécouvre, l’inclut dans ses programmes d’éducation, se réapproprie son histoire même si cela reste minoritaire. À Pondichéry, on ne peut pas dire que le français se développe mais il a ses traces, ses locuteurs, cette communauté qui au moment de la rétrocession de cet ancien comptoir français a eu le choix de prendre ou non la nationalité française. Quant au Vatican, c’est un État avec un rayonnement inversement proportionnel à sa taille où le français est quand même la langue de la diplomatie. C’est intéressant de voir ce qu’il en reste, et aussi chez les fameux gardes suisses. Le pape lui aussi parle français, mais il est typiquement de ces personnes qui n’osent pas le parler par peur de mal le parler.

 

Quel avenir voyez-vous au français après ce « tour du monde » ?

Ce tour du monde est bien sûr incomplet. On aurait pu aborder des pays d’Asie du Sud-Est, parler de la Tunisie, d’autres pays subsahariens comme le Bénin, le Niger… Même si pour le moment une nouvelle série n’est pas à l’ordre du jour. En tout cas, l’avenir de la langue française n’est pas fermé, même s’il est compliqué de dire de quoi il sera fait. Ce qui est encourageant c’est devoir ce français qui s’autonomise. Comment des communautés, des pays, des États se le réapproprient. On sort des problématiques coloniales et on décèle une langue qui reste utile dans plusieurs coins du globe.

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Visualiser la carte des États et gouvernements membres de l’Organisation internationale de la Francophonie : Carte_88 etats et gvts OIF

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