« Changer l’avenir d’enfants défavorisés »
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, à partir de ce 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la VIE DE PROF de la Brésilienne Ivanete SOUZA DOS SANTOS GOMES, à retrouver dans le numéro 425 de septembre-octobre 2019. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !
Croisée au congrès des professeurs de Dakar en juin 2019, Yvanete enseigne le français et poursuit des recherches en didactique pourtant bien loin du Sénégal. À Macapa, une ville brésilienne dans la forêt amazonienne, elle s’emploie à faire vivre la langue française.
« Mon voyage pour venir à Dakar a duré 3 jours ! Voyager depuis Macapa, en Amazonie, n’est pas toujours simple… Mais j’avais très envie de venir à ce congrès de professeurs car j’aime actualiser mes connaissances pour mon métier et je voulais rencontrer des personnes d’autres cultures. Je rêvais de connaître l’Afrique ! Ce qui m’a motivé le plus, c’est tout ce que j’ai lu dans Le français dans le monde sur la francophonie en Afrique, tout ce que j’ai vu sur TV5Monde, tout ce que j’ai entendu sur RFI. Je voulais voir comment ces francophones parlent, vivent, s’organisent. Et aussi bien sûr ce que les professeurs africains font dans le domaine de l’éducation du français.
Une école bilingue dans un quartier modeste
Je suis actuellement coordinatrice d’une école bilingue à Macapa, au Brésil. Elle a été inaugurée l’an passé, en partenariat avec l’ambassade de France à Brasilia. Il y a quatre profs de français. Deux enseignent le FLE, et les deux autres des disciplines non linguistiques en français, les sciences et les mathématiques. Les quelque 1 000 élèves de l’établissement ont donc 4 cours par semaine en ou de français. C’est la troisième école bilingue du réseau publique au Brésil. C’est une une école primaire, mais le projet serait d’aller par la suite jusqu’au collège.
Le quartier de l’école a été construit récemment par le gouvernement fédéral pour accueillir des gens plutôt défavorisés. D’où l’importance de cette école bilingue : les habitants sont très fiers, ils peuvent dire : « Nous, nous apprenons le français dans notre école ! » Ça peut changer l’avenir de leurs enfants. Du coup, l’école est très recherchée, les classes sont surchargées, avec de 40 à 42 élèves par classe… Le travail est parfois difficile avec autant d’apprenants, mais nous faisons quand même de belles choses.En 2019 par exemple, nous avons fêter la francophonie en mars. Nous avons choisi 12 pays francophones pour travailler sur un projet qui a rassemblé tous les professeurs de l’école, même ceux qui ne parlent pas français. C’était pour montrer ce que signifie la francophonie et l’importance de travailler dans une école bilingue. Avant, les professeurs non francophones pensaient que la francophonie ne concernait que les enseignants « bilingues ». Nous avons essayé de faire bouger les mentalités. Ainsi, nous incitons à ce que tout le monde dans l’école connaisse au moins un petit peu le français. Car les étudiants veulent parler français, même dans les couloirs. L’objectif est d’avoir une atmosphère bilingue partout dans l’école.
« Déménager » du portugais au français
Auparavant, j’enseignais le portugais. Un jour, j’ai vu que l’on recrutait des professeurs pour suivre une formation en licence de lettres françaises. Comme je ne connaissais aucune langue étrangère, je me suis dit que j’allais la faire pour apprendre le français. Mais de là à l’enseigner ! Finalement je suis tombée très amoureuse, je suis maintenant une passionnée de la langue française. Donc un jour, j’ai décidé de « déménager » de langue et depuis j’ai découvert que l’on peut faire beaucoup de choses dans le domaine de l’enseignement du français. J’ai commencé un master 2 en coopération entre l’université fédérale du Para, à Belém, et celle des Antilles et de la Guyane. En 2009, j’ai eu une bourse pour aller en France pendant un mois et j’ai décidé de continuer en doctorat, à Paris 3. J’espère bientôt soutenir ma thèse avec Lucile Cadet de l’université de Cergy-Pontoise. Mon thème de recherche est l’enseignement de l’oral en FLE, mais aussi la formation des professeurs, l’analyse de l’agir professoral et son éthique. La formation des profs m’intéresse beaucoup. À Macapa, dans le centre public Danielle-Mitterrand où j’ai enseigné le français pendant 15 ans, j’ai vu que les apprenants étaient un peu frustrés. Ils avaient du mal à interagir avec les Français qui arrivaient à Macapa. Et même les professeurs de français avaient parfois des difficultés à parler. Je me suis donc demandé ce que l’on pouvait faire pour les aider, pour gagner en autonomie.
Des élèves m’ont dit : « Je veux partir en Guyane, mais je veux apprendre le français avant, comme ça ce sera plus facile pour m’intégrer. »
Je donnais à l’époque des cours libres pour les grands débutants, à partir de 15-16 ans. Notre État, l’Amapa, a une frontière commune avec la France, avec la Guyane. Beaucoup d’habitants de Macapa ont donc des liens avec la Guyane, même si c’est à 600 kilomètres. Ils ont de la famille ou des amis qui sont partis et habitent là-bas depuis longtemps. Beaucoup de Brésiliens partent en Guyane sans connaître le français : certains vivent depuis des années dans l’importante communauté brésilienne, sans ressentir le besoin de parler français. Évidemment, ils ont de grosses difficultés pour accéder au travail, à l’école… Donc il y a des élèves qui m’ont dit : « Je veux partir en Guyane, mais je veux apprendre le français avant, comme ça ce sera plus facile pour m’intégrer. »
Une ville au milieu du monde
Macapa est un peu séparé du reste du Brésil. De Macapa jusqu’à Oyapoc, il faut faire 600 kilomètres en voiture. Le voyage dure de 8 à 10 heures, car une bonne partie de cette route n’est pas aménagée, c’est encore de la terre : au moment des pluies, c’est la catastrophe ! Il nous faut prendre un bateau pour aller à Belém, ou en avion. Tout est plus cher à Macapa à cause de cet isolement. Mais c’est une ville de plus de 800 000 habitants qui bouge au niveau culturel, il y a beaucoup d’artistes locaux, des chanteurs, des peintres, des gens de théâtre… Nous avons aussi le fleuve Amazone et la ville est divisée par la ligne imaginaire de l’équateur. Il y a un monument qui s’appelle « Marco Zero » où les touristes adorent se faire photographier, un pied dans l’hémisphère Nord, un pied dans l’hémisphère Sud. Et dans notre « stade au milieu du monde », chacune des deux équipes joue dans un hémisphère !L’association des professeurs de français de l’État d’Amapa, dont je suis membre du bureau, est très bien organisée. De nombreux enseignants sont très motivés pour mieux se former. La plupart du temps, chacun doit payer de sa poche pour les formations et les voyages. Et nous essayons de participer à tous les congrès de profs de français. En 2018, un groupe de 10 professeurs de l’Amapa est allé aux Sedifrale, à Bogota. Nous essayons de sortir de notre isolement géographique et de nous faire connaître, aussi ! »
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VIE DE PROF, une rubrique participative du Français dans le monde. Si vous aussi vous voulez témoigner de votre vie d’enseignante ou d’enseignant de français langue étrangère, écrivez-nous sur slangevin@sejer.fr et/ou cbalta@sejer.fr