IBK a remplacé ATT
Par Louis-Jean Calvet
En avril 2011 Josué Ndamba publiait ici un billet sur le détournement des sigles au Congo et quelques mois plus tard je revenais sur le même thème avec un corpus différent. C’est d’un autre point de vue que je voudrais analyser ce mois-ci ce procédé de création lexicale. En juillet 2013 l’élection présidentielle malienne a tranché et porté à la magistrature suprême Ibrahim Boubacar Kéita, face à Soumaïla Cissé. Mais les deux candidats étaient en fait baptisés autrement par leurs partisans, IBK pour le premier et Soumi pour le second, siglaison dans un cas et abréviation dans l’autre, pour former ces diminutifs affectueux qu’on appelle en termes savants des hypocoristiques. La chose est d’autant plus remarquable que Kéita remplaçait l’ancien président, Amadou Toumani Touré, que tout le monde appelait ATT. Deux présidents successifs sont ainsi désignés par le sigle de leurs patronymes, IBK remplaçant ATT.
Or la siglaison est un phénomène essentiellement écrit : il faut savoir lire et écrire pour créer un sigle, savoir par exemple qu’autonome s’écrit autonome (et non pas otonome, eautonome ou hautonome) pour transformer la Régie Autonome des Transports Parisiens en RATP. Mais le Mali est plutôt un pays de tradition orale et si Soumi pour Soumaïla ne surprend guère (il s’agit d’un procédé oral), IBK est plus surprenant. De façon plus large, nous pouvons nous demander pourquoi et dans quelles conditions ce procédé plutôt utilisé dans le vocabulaire administratif ou bureaucratique que dans la formation d’hypocoristiques apparaît dans la désignation d’êtres humains.
Cette manière de désigner des personnages politiques est d’ailleurs assez rare, y compris dans les pays de tradition écrite, et pour ce qui concerne la France elle ne s’est manifestée que de façon sporadique : JJSS pour Jean-Jacques Servan-Schreiber au début des années 1960, VGE pour Valery Giscard d’Estaing dans les années 1970, DSK pour Dominique Strauss-Kahn plus récemment, guère plus. Servan-Schreiber et Giscard voulaient sans doute faire « moderne », sur le modèle de JFK (Kennedy), et Nathalie Kosciusko-Morizet qui se fait appeler NKM vise peut-être la même image (reste à savoir si elle finira comme VGE ou comme DSK…).
Mais ce qui me retient ici est de savoir pourquoi le nom de tel ou tel personnage est-il siglé alors que celui tel autre ne l’est pas. Une hypothèse facile se présente à l’esprit : pour qu’un patronyme soit siglé, il faut que son porteur soit célèbre. Mais cette hypothèse ne tient pas, tant les gens célèbres dont le nom n’est pas siglé sont nombreux. Je n’en citerai qu’un exemple : si CDG renvoie au nom d’un aéroport il ne désigne jamais le général Charles de Gaulle. Une autre hypothèse possible est que ne sont siglés que des noms constitués de plus de deux noms, ce pourquoi Nicolas Sarkozy par exemple n’aurait pas donné NS et François Hollande n’aurait pas donné FH. Mais il s’agit là d’une tendance plus que d’une loi. BB (Brigitte Bardot) ou le JR du feuilleton américain Dallas s’inscrivent en effet en faux contre mon hypothèse, tout comme bien sûr J-C (Jésus-Christ). Et l’on peut imaginer d’autres explications. L’économie par exemple (il est plus économique de prononcer les trois syllabes de DSK que les cinq syllabes de son nom complet) ou la facilitation (ce à quoi renvoie NKM peut être considéré comme imprononçable…). Dernière hypothèse, qui n’exclut pas les précédentes : et si étaient siglés le nom de ceux qui, grâce à leurs services de communication, se débrouillent pour qu’il le soit, ce qui expliquerait pourquoi de nombreux philosophes de talent ne sont connus que par leur nom complet alors que Bernard-Henri Levy est connu sous le sigle de BHL…
Bref, si derrière l’élection présidentielle malienne se profilaient des enjeux plus importants, elle nous permet cependant de réfléchir sur ces procédés d’anthroponymie un peu particuliers.