Zlataneries et Schtroumpferies
Par Louis-Jean Calvet
En septembre 1914, le maréchal Joffre révoqua un certain nombre d’officiers supérieurs jugés incapables et les assigna en résidence dans la bonne ville de Limoges qui donna ainsi le verbe limoger. La même mésaventure arriva à la ville d’Hazebrouck où le garde des sceaux Jean Lecanuet muta en 1976 le juge Étienne Ceccaldi pour le sanctionner d’avoir voulu enquêter sur des ententes illicites entre pétroliers. Limoger (« révoquer »)et Hazebroucker (« mettre au placard »), même si le second est moins fréquent, sont ainsi deux exemples de noms propres ayant donné naissance à des verbes mais il est d’autres exemples en français de ce genre de passage d’une catégorie grammaticale à une autre. Ainsi le préfet Eugène Poubelle (1831-1907) donna-t-il son nom à la poubelle, qu’il avait rendu obligatoire dans les rues de Paris. Ou encore Alexis Godillot (1816-1893), fournisseur de l’armée française en chaussures, donna-t-il son nom aux godillots. Ajoutons-y la silhouette, qui vient d’un homme politique français, Etienne de Silhouette (1709-1767), grand collectionneur de ce type de portrait.
Ce procédé est régulièrement utilisé, et nous en avons un nouvel exemple avec le joueur de football Zlatan Ibrahimovic que l’équipe du PSG s’est offert grâce à l’argent du Qatar. La France vit en effet ce que j’appellerais volontiers une « Zlatanmania ». On trouve sur Internet une ribambelle de « Zlatan facts », comme on parle de « Chuck Norris facts » : des actions ou des attitudes fabuleuses qui leur sont prêtées. Par exemple, pour ce qui concerne Zlatan : « Quand Zlatan est remplaçant, il s’assied sur une trône », « la météorite qui a frôlé la terre a été déviée par une chandelle de Zlatan », ou encore « il y a eu des matches truqués lorsque Zlatan n’a pas marqué ».
Mais, au delà de ces plaisanteries, c’est une nouvelle livraison de néologismes qui va me retenir ici, le verbe zlataner et le substantif zlatanerie. Les zlataneries sont des phrases, des réactions, des actions que l’on attribue à Ibrahimovic, les « Zlatan facts » que j’ai évoqués plus haut. Quant au verbe zlataner, qui existe déjà en suédois (slatanera), il est d’abord apparu dans l’émission satirique Les Guignols, avec un sens assez flou : « gagner un match », « faire une passe remarquable », « s’imposer », « dominer », etc. Les Guignols font par exemple dire au joueur : « À la coupe du monde je vais zlataner la planète », ou encore « Zlatan ne passe pas la bal , il zlatane tout seul ». Bref zlataner est un verbe qui nous rappelle la célèbre bande dessinée dans laquelle schtroumpfer voulait tout dire… Interrogé par le journal Le Monde sur sa définition de ce néologisme, Ibrahimovic répond :
« J’ai entendu parler de ce verbe. Il est déjà dans le dictionnaire suédois. Je pense que zlataner signifie « dominer ». Dans un sens bénéfique et positif, je l’espère. C’est faire quelque chose d’acrobatique, de différent, d’impossible. Cela peut englober plusieurs mots et avoir beaucoup de synonymes ».
Certes, et ces synonymes ne sont pas toujours à l’avantage du joueur. Ainsi le 13 février dernier, au lendemain du match du PSG contre Valence, au cours duquel Ibrahimovic avait été expulsé du terrain, j’ai entendu sur les ondes de France Inter un journaliste déclarer que « Zlatan s’est fait zlataner par l’arbitre ». Autant dire qu’il s’est fait schtroumpfer. Dans les deux cas, nous soyons que le sens n’est pas dans le verbe, mais dans le contexte. À bon schtroumpfeur salut !