De "l’ostie de show" en 1968 à "Ma vie c’est d’la marde" en 2012 : même débat ?
Par Laurence Arrighi et Annette Boudreau
Le 26 octobre 2012, une chronique parue dans le quotidien montréalais, Le Devoir, écrite à la suite du Gala de l’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque) a provoqué un débat en Acadie et au Québec en reliant la langue d’un groupe de rappeurs, Radio Radio, à l’assimilation des francophones au Canada. Cette assimilation proviendrait de la bilingualisation de ces derniers et se manifesterait à l’intérieur de la langue française elle-même.
En effet, par leur trop grand recours à des termes anglais, bien des francophones auraient une langue pauvre et handicapée. Le groupe Radio Radio dont les membres sont Acadiens, puise à un répertoire multilingue, chiac, français et anglais, pour composer ses chansons. Le groupe est très populaire au Québec et a gagné le Félix de l’album de l’année au Gala de l’ADISQ en octobre dernier. La chronique du journaliste a été suivie par d’autres, qui parfois ont défendu la liberté linguistique et culturelle des artistes, mais surtout qui en ont profité pour proclamer haut et fort que le français était en train de disparaître. Lisa Leblanc, Acadienne, qui a connu un grand succès au Québec à l’été 2012 avec son disque éponyme a également remporté le Félix de la «révélation de l’année» à l’ADISQ. Sa chanson Ma vie c’est d’la marde, a fait des petits notamment dans des caricatures de journaux nationaux où l’on voit des politiciens, abattus et usés, dire que « leur vie, c’est… ». Le soir du Gala, Lisa Leblanc a remercié le public, ses producteurs et sa famille par un « huge » merci, ce qui a contribué à nourrir le débat. Le terme « huge » a été repris notamment par un chroniqueur qui s’est alarmé de l’usage croissant de l’anglais. Lisa Leblanc a grandi dans un milieu bilingue français-anglais et elle prononce à l’américaine les termes anglais qu’elle insère dans sa langue, ce qui les rend très audibles alors que chez d’autres ils passent inaperçus parce qu’ils sont intégrés phonétiquement. Ce fut notamment le cas de Fred Pellerin, lui aussi récipiendaire d’un Félix à l’ADISQ, qui a parlé de la « trail » suivie. Le terme, intégré au français québécois n’a pas été relevé ; il n’a suscité aucun commentaire négatif. L’un des artistes a été stigmatisé, l’autre pas, alors que dans les deux cas il s’agissait d’anglicismes.
Ce débat nous en a rappelé un autre, celui des années 1960 et 1970 au Canada et qui concernait aussi les vernaculaires québécois et acadiens. En 1968, Robert Charlebois, Yvon Deschamps et d’autres ont alimenté les discours sur la langue avec leur spectacle Ostie d’show et il en fut de même avec le groupe 1755, qui à la fin des années 1970, est devenu très populaire. Ces spectacles mettaient en scène le français populaire de différentes régions du Québec et d’Acadie et c’était ce même français qui se retrouvait dans la bouche des musiciens qui présentaient leur spectacle. C’est dans la foulée de ces événements (avec d’autres) que commença la querelle du joual et le débat sur le chiac, débats qui opposèrent les tenants d’un français unique à ceux qui voulaient que le français du Canada s’autonomisent par rapport au français parlé en France, qui tenait alors lieu de modèle unique.
Ces illustrations montrent que les débats sur la langue sont récurrents et provoque les mêmes interrogations. Pourtant les dernières statistiques montrent que le nombre de francophones reste stable au Canada si l’on ne s’en tient pas à ceux qui possèdent le français comme langue maternelle et si l’on compte parmi ces derniers les nouveaux arrivants qui ont le français comme langue étrangère. Finalement tout dépend des calculs que l’on fait et surtout, tout dépend de notre conception du français. Si c’est l’idéologie du français unique qui domine et qui suppose que tous les locuteurs doivent parler le français à peu près de la même façon et avec l’accent attendu pour se dire francophones, il se peut que l’on ait l’impression qu’il y ait péril en la demeure. Si une conception hétérogène de la langue prévaut, on est moins alarmiste.