L’anglais, deuxième langue officielle au Gabon ? So what…
Par Auguste Moussirou-Mouyama
Bien avant la tenue du XIVe Sommet de la Francophonie à Kinshasa, le Gabon a lancé un pavé dans la mare francophone déjà quelque peu agitée au nord du Mali et sur les bords du fleuve Congo, en annonçant, par la voix du porte-parole de la présidence de la République gabonaise, la généralisation de l’expérience de l’enseignement/apprentissage de l’anglais dès le pré-primaire et la volonté du Chef de l’Etat d’instituer l’anglais comme deuxième langue officielle, avant une demande d’adhésion du Gabon au Commonwealth. Qui l’eût cru du Gabon, exception francophone dans le paysage sociolinguistique africain ?
Le Gabon présente, en effet, la particularité d’avoir des taux élevés d’acquisition et de pratique du français mais aussi des taux de perte de vitalité des langues natales tout aussi élevés. Cette dynamique des langues est particulièrement favorable à la langue française, unique langue « maternelle » que déclarent avoir près de 30% de Librevillois, dans la plupart des enquêtes sociolinguistiques des dix dernières années. Ce qui peut justifier ces réactions sur la page « UJPDG Emergent » (1 604 abonnés) d’un réseau social qui avait ouvert le débat après cette annonce pour le moins détonante (réactions rapportées ici textuellement, dans la « novlangue » des outils virtuels) : Que ce soit dit sobrement par un Andy Nziengui (« Commençons par nos langues vernaculaires ») et repris par un Rosario Brandao (« exactement nos langues vernaculaires d’abord!!!! tchuiiiip ») ou que ce soit sous la forme d’un coup de gueule :
« Et vos langue vernaculaire vs ssavez mm pas vs en servir s l’anglais vs voulez ya mieux a faire trez franchmnt, ya assez d’espace sortez de terre des ecole ou ouvrez dabor un labo d langue national et jen passe » (Baryls Barbera)
La question de l’école est au centre de nombreuses interventions des Gabonais sur cette même page, qu’on la lie à la problématique de l’insertion des langues gabonaises dans le système éducatif formel (« Remettez la dictee o bac et les langues vernaculaire dan les lycee de la 6eme jusken Term », Ambonguilat Tchoua Joan) ou que se cachent des visées normatives (« Que les gabonais sachent d’abord correctement placer les « le, la, lui… » dans leur phrases », Fanny Sick’out) ou fonctionnelles :
« Et ca voudra dire qu’il faudra reviser la Constitution! Je prefere un referendum dans ce cas. Et je sais que mes compat’ seront CONTRE! Surtout, ne pas hésiter à soumettre votre « projet » au ref’. Mais c’est abuseyyy ce que vous faites là… Il y a des populations qui ne maitrisent même pas le francais a l’oral, pire encore a l’ecrit. Et vous voulez instaurer l’anglais comme 2e langue! Imposez-le aux fonctionnaires cadres, aux agents du tourisme, à une tranche de la population salariée mais pas a tout l’monde quand même ! » (Danielle Armelle).
Au message de Dyel Ngueba, favorable à la décision politique mais qui pose quand même la question des « langues vernaculaires » (« Ok mai kl place occuperont nos langue vernaculaires?? »), l’administrateur de la page répond : « Je suppose que pour les langues vernaculaires elles occuperont toujours la même place! On ne va quand même pas en faire des langues de travail! », statu quo largement partagé, au profit de l’anglais, langue du futur et de l’ouverture :
« Oui je suis totalement dacor sur ce plan (ya Ali [le grand frère Ali Bongo] a tjr raison) sa nous permetra d’élargir enkor plus les relations économique que nous entretenons avec d’autres pays anglophones… et en plus la majorité des pays anglophone sur le continen africain sont plus ou moins exemple de réussite économique… Et en ce qui conserne nos langues vernaculair elles resterons a leur place c’est a dire utilisable rien que dans un cadre amicale ou familliale comme actuèlemen » (Aldric De Rothschild)
Ou encore, de Nefertary Penda Magasine : « de acuerdo!! il était temps!la langlaise est en quelque sorte la langue universelle. elle est une sorte de laisser-passer. la langue française démeurera la langue nationale. l’apprentissage de la langue anglaise, même si les mauvaise langues trouvent encor à redire on leur pisse dessus. car ceci devrait être perçut comme un avantage. avc toutes les richesses dont regorge notre pays les investisseurs expatriés sernt tentés de fouler notr territoir, cmt séfctuernt ls échanj entr collaborateur vus kil nyorb pa q ds francophones ? l’anglais c’est la langue qui assure notre future. nos langues vernaculair gardernt tjr leur place,la chasse guardée de notre patrimoine culture.personne n’a l’intention d ls abolir même si nous savons qu’elles ne seront jamai internationales.quitte à ns de les préserver jalousement ».
Les arguments ne manquent pas pour aller dans le sens du gouvernement gabonais. Contre les très nombreux abonnés (de la page que nous exploitons) qui parlent de « diversification de l’économie et des partenaires », de modèle de développement d’inspiration anglo-saxonne ou qui donnent des raisons idéologiques de rupture avec l’ancienne puissance coloniale, Kodem Rallo Jr nuance : « accroitre la pratique de l’anglais, c’est une bonne chose, mais integrer le Gabon dans le commontruck là je ne sens pas le wé là (…). En quoi en toute logique le Gabon va se soumettre a cette [vieille]dame [la Reine d’Angleterre]? Parce qu’au dela de ce symbolisme, il y a une influence malsaine de la classe dirigeante anglaise. On a pas encore fini avec les rouages morbides de la france Afrique, je pense qu’il ne faut pas se précipiter ».
Et Siegfried Prince d’Alpha –Adamou de ramener ses « amis » au bon sens commun : « ARRETEZ DE REVEZ! Le cameroun voisiin est bien ANglophone à moitié , non? Vous trouvez que cela leur a apporté un plus par rapport à nous? n’est ce pas à mont-bouet on croise ces même Anglophones venant du cameroun en train de vendre des livres d’occasion ou des petites bricoles dans le genre? Arretez de croire qu’on est riches ou pauvres parce qu’on parle une langue (En fait qu’on parle meme tres mal!!) plutot qu’une autre! On peut promouvoir la langue Anglaise au Gabon etc… mais de la a l’inscrire dans la constitution, c’est juste une autre histoire qui doit bien etre creusée! par ce que là, c’est flou! et quand c’est flou… c’est qu’il y a un loup! ».
Les loups sont vite sortis, avant même la mise en œuvre du projet gouvernemental. Les réactions de la sphère institutionnelle de la Francophonie ont été vives et témoignent des enjeux stratégiques et symboliques aussi bien du projet que de la place du Gabon dans la galaxie francophone. La visite du couple présidentiel gabonais, accompagné d’une forte délégation censée allée se nourrir de l’expérience rwandaise en matière de politique linguistique, à quelques jours seulement du Sommet controversé de Kinshasa, sonnait la charge d’un tournant qui était peut-être irréversible. Et ne voilà-t-il pas l’opposition gabonaise contrainte à la défense de la langue française, hier prédatrice du patrimoine culturel et linguistique du Gabon…
Bien qu’il ait jugé « ridicule » la polémique née du projet présidentiel d’introduction de l’anglais comme langue officielle du Gabon et d’une adhésion à terme au Commonwealth, Ali Bongo Ondimba a sans doute réalisé son plus grand coup médiatique, politique et diplomatique de son mandat. L’effet de l’annonce du projet nous fait revisiter les leçons sociolinguistiques aussi bien sur le poids des langues que sur la théorie du chaos ou sur les théories de la complexité et de l’hétérogène — l’exception francophone et d’ordinaire infiniment petit (le Gabon) venant remuer le long fleuve tranquille qui voulait dormir, une fois de plus à Kinshasa, alors que le monde bouge, comme dit une publicité en français !
wesoue
Les linguistes sont partout,…… Moi, je parle français, anglais , créole, un peu d’espagnol aussi , je suis haïtienne, et on constate un préjugé linguistique en Haïti pour le créole, a chaque fois que je vois ça, franchement les linguistes ont du pain sur la planche. Très beau article..