Le cossin, c’est le cousin du machin
Par Laurence Arrighi et Annette Boudreau
Comment désigner le dérisoire, l’indéfini, l’indistinct… comment nommer le « rien » qui peut représenter beaucoup de choses ?
Les Français disposent d’une panoplie de termes au contenu sémantique vague qui leur permet de référer à tout et rien. Bidule, machin, chose, truc et autre bittoniau… Les Canadiens francophones ne sont pas en reste. En Acadie, au Québec, dans l’Ouest canadien, le paradigme lexical du « petit truc » est riche de cossin, bébelle, patente, rigue, riguine… mots partagés ou plus originaux à tel français canadien.
Ils servent sans doute de béquille à une mémoire défaillante et /ou d’expression linguistique du peu d’intérêt que l’on porte à tout un tas d’objets du quotidien, mais encore…
Comme mots à tout faire, ils désignent ce dont on ne se rappelle plus le nom, ce dont on ne connaît pas le nom, ce qui n’a pas de nom. Pas de nom ? Impossible nous diront les encenseurs du français de tout poil : le français est une langue si riche qu’il ne saurait laisser ainsi des objets sans nom !
Justement l’absence, la méconnaissance, l’oubli du nom trouve, grâce à ces petits mots, pléthore de solutions. Rien de plus beau que la précision lexicale, diront certains. Soit, toutefois il est toujours fort pratique d’avoir un joker lexical.
De plus, d’un bord et d’autre de l’Atlantique, ces mots fourre-tout se retrouvent dans des énoncés mémorables (ou douteux). Ainsi, tout comme le Français de Gaule avait traité l’ONU de machin, c’est du terme de bébelle que bien des Québécois nomment le Conseil de la fédération. De même, ici comme en France, on peut procéder à des accumulations « d’imprécisions ». Les Français ont leur tout-en-un truc-bidule-machin-chose ; ici, nous avons les patentes à gosses.
Comme bien des mots « familiers », l’étymologie de cossin, bébelle, patente, rigue, riguine… est un peu confuse tout comme leur interprétation est sujette à discussion. Cossin serait une déformation paronymique à partir de coussin ou cossard, le terme désignerait tout aussi bien des choses sans valeur, des rebuts, des bagatelles, des fanfreluches qu’une personne paresseuse. Une bébelle, c’est un objet quelconque, une babiole, plus spécifiquement un jouet ou gadget. Le cas de patente est des plus intéressants. La forme se retrouve en divers points de la francophonie et, de son usage fiscal, à son usage législatif sous l’Ancien Régime, le terme a pu désigner un brevet en France, une autorisation de vendre des spiritueux en Belgique. Au Canada, une patente c’est l’équivalent d’une chose, d’un truc, c’est aussi le nom de code donné à l’Ordre de Jacques Cartier, une société secrète pour l’avancement des francophones. Actif de 1926 à 1975, l’ordre était aussi appelé communément la Patente. Enfin, riguine c’est un objet sans valeur, tout comme une rigue. En anglais a rig, c’est du matériel, de l’équipement mais aussi des vêtements, des fringues et to rig, c’est bricoler, truquer, trafiquer (nous avons d’ailleurs le verbe riguer dans le sens de bricoler un truc, une patente)… Alors une rigue, c’est peut-être un emprunt intégré à l’anglais, langue de contact partout en Amérique du nord (ses dérivés manifesteraient une intégration supplémentaire). Quoi qu’il en soit, ces mots de rien à l’ascendance souvent obscure nous sont bien utiles.