Amarsissage
Par Louis-Jean Calvet
Fin juin 2012, je publiais ici même un billet titré « Tébéïsser et jambiser » dans lequel je soulignais la tendance forte à ne créer désormais en français de nouveaux verbes français qu’au premier groupe. Et je soulignais que la dernière exception à cette règle était le verne alunir, que l’on avait forgé sur le modèle d’atterrir parce qu’il était difficile de dire « atterrir sur la lune, la racine terre étant trop flagrante dans ce verbe.
Or, au début du mois d’août dernier, les Américains ont envoyé sur la planète mars un robot portant le doux nom de Curiosity, et Le Monde du 7 août relatait l’événement en titrant en première page : « Le récit de l’amarsissage réussi de Curiosity ». Dans les pages intérieures, on trouvait le même « amarsissage » mais entre guillemets, et dans le cours de l’article « s’est posé sur Mars » alternait avec « amarsissage ». Frappé par cette variation, j’ai regardé le reste de la presse, mais personne n’avait osé le néologisme du Monde. Le Huffington post par exemple parlait de « l’atterrissage sur Mars du robot Curiosity » et Libération pour sa part titrait« Curiosity s’est posé hier ». La chose est intéressante car alunir a fait l’objet d’un consensus mais amarsir semble gêner les gens. D’ailleurs, parallèlement, le débat était posé sur le site du Monde : « Doit-on dire « amarsissage » ou « atterrissage sur la lune » ? On y rappelait qu’amarsissage n’était reconnu ni par l’Académie française ni par l’Académie des sciences, que la terre d’atterrissage n’était pas la planète Terre mais l’élément terre, et qu’en choisissant la solution du néologisme on serait un jour peut-être obligé de parler d’avénussissage ou d’ajupiterissage.
Le débat, bien sûr, peut faire sourire. Mais pour qui s’intéresse à la langue et aux langues, il nous mène à trois types de réflexions.
D’une part, dans une langue comme l’anglais, le problème ne se pose pas puisque la Terre se dit earth et la terre land : on ne parle donc pas de earthing, mooning ou marsing mais de landing.
D’autre part, et d’un tout autre point de vue, au bout du compte atterrir a imposé son paradigme, y compris dans les dérivations : Atterrir/ atterrissage, amérir/amérissage, alunir/alunissage et finalement amarsir/ amarsissage.
Enfin ces néologismes français nous parlent de l’histoire et des innovations technologiques. Selon le dictionnaire Robert, atterrir date de la fin du xixe siècle, utilisé pour les aérostats, amerrir est créé en 1912 sur le modèle d’atterrir, et alunir date de 1930. C’est-à-dire que la succession de ces néologismes est parallèle à un progrès technologique : les aérostats, les dirigeables puis les avions pour atterrir, les hydravions pour amerrir et enfin l’idée d’aller sur la lune pour alunir.
La science n’avançant pas si vite que ça, disons pour finir que le débat sur avénussissage et ajupiterissage n’est pas pour demain…