Le printemps érable : une jeunesse qui sait utiliser sa langue
Par Laurence Arrighi et Annette Boudreau
Depuis le mois de février, les villes du Québec connaissent un gigantesque mouvement de protestation étudiante et citoyenne. D’abord, comme c’est souvent le cas, la mobilisation québécoise de ce printemps propose un écho d’événements internationaux récents (les mouvements Occupy et même les printemps arabes). De plus, de par l’ampleur de cette contestation qui va bien au-delà de son étincelle initiale (l’augmentation des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur) et aussi de par les modes de protestation particulièrement imaginatifs mobilisés par la jeunesse québécoise (marche des tout nus et manif casseroles en sont des témoignages parmi tant d’autres), ce mouvement retient désormais l’attention des médias et des individus bien au-delà de nos frontières. Les manifestations se sont multipliées depuis l’adoption la Loi 78, loi spéciale adoptée en mai qui restreint les droits de manifester. Ce mouvement est aussi intéressant d’un point de vue linguistique et c’est cela que nous voudrions commenter.
D’abord l’inventivité des slogans et la richesse des affiches nous montrent qu’aujourd’hui comme hier protestation étudiante et jeu de mots font particulièrement bon ménage (qui ne connaît pas quelques sentences bien tancées issues de mai 68 ?). Quelques exemples : Désolés pour le dérangement on essaye juste de changer le monde / C’est pas en endettant les étudiants qu’on va régler la dette / Négocies Ostie ! Ou encore écrit en rouge sur les corps dénudés des manifestants : 82 % [la hausse imposée] c’est ça qui est indécent / Le corps étudiant contre la hausse /1625 $, ça fesse. De plus et surtout, les prises de parole publiques des leaders du mouvement, leurs sens de la répartie dans les débats auxquels ils sont conviés ou les divers micros trottoirs qui donnent la parole aux manifestants « de base » nous donnent à entendre une jeunesse qui sait ce qu’elle veut et sait le dire, sait même très bien le dire. Autant de témoignages de la dextérité linguistique de la jeunesse actuelle que certains accusent d’être justement peu habile avec sa langue (cf. les sempiternelles condamnations de la pauvreté de la langue des jeunes). Au-delà, cette audace dans la prise de parole de la jeunesse québécoise montre aussi les effets bénéfices de l’aménagement linguistique menés depuis les années 1960 au Québec. Grâce à des politiques audacieuses qui ont œuvré à faire du français la langue normale de la communication au Québec, les Québécoises et Québécois ne craignent plus de prendre la parole et ils la prennent bien.