Ô CAN, suspends ton vol !
Par Auguste Moussirou-Mouyama
La 28e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football, co-organisée par le Gabon et la Guinée-Équatoriale, est un projet structurant pour lequel le Gabon, par exemple, a investi officiellement entre 450 et 600 millions d’euros. Cet exemple de coopération entre deux pays pour la réussite de la fête continentale du football aurait pu être également un bel exemple de coopération entre les trois aires linguistiques — bantouphone, francophone et hispanophone — si les langues des anciennes puissances coloniales n’avaient pris le dessus sur les langues locales, absentes des circuits de communication officielle et des supports de marketing — on n’est pas langue officielle pour rien, après tout ! Le benga ou le fang, langues bantu présentes dans les deux pays ne peuvent avoir la force unificatrice conférée aux langues officielles. Le football sera donc, trois semaines durant, de langue espagnole, française et, sans doute, arabe et anglaise — mondialisation oblige, mais aussi grâce à (à cause de ?) la présence du Ghana ou des équipes du Maghreb !
Soyons optimistes : les délégations officielles découvrent le bilinguisme en passant d’un pays à l’autre, pendant toute la phase préparatoire de la CAN 2012 et les visas communs seront au moins bilingues. Le football sera donc bien passeur de langues, pour les touristes du sport aussi — appelés à découvrir le Gabon et la Guinée-équatoriale et leurs populations aux sonorités bantoues qui viendront teinter l’espagnol ou barioler le français autour des stades, dans la rue, à la radio ou à la télé. Les cadres des ministères en charge de l’économie et/ou du tourisme, voire de l’écologie et/ou du développement durable veillent à ces indicateurs prometteurs. Seul le plurilinguisme de cette fête du sport passera inaperçu, la mesure de la création lexicale Guaguié (pour Gabon et Guinée-équatoriale) ne rapportant rien dans les comptes des deux États ni de la Confédération africaine de football (CAF). Guaguié est le nom donné au gorille qui a été choisi comme mascotte officielle de la CAN 2012, pour nous rappeler nos devoirs vis-à-vis de l’environnement et de l’avenir de la planète — devoirs qui s’évaporent très vite, au rythme des vols d’avion et des diffusions, pour suivre les matches…
Si la mention publicitaire du groupe français Orange a donné lieu, dans les milieux plutôt aisés, à quelques commentaires critiques sur la CAN à sucre, par analogie à la CAN Orange 2012 et à l’affairisme ambiant pour «profiter» de l’événement sportif, ou encore à la parodique CAN à pêche, les médias gabonais ont très peu innové autour du mot. Un slogan « Yes, we CAN » pour une émission sportive dans une chaîne privée est devenu, dans une conversation privée entre optimistes et pessimistes quant aux chances de l’équipe gabonaise « yessi, we CAN », yessi (« chance », en yipunu, langue bantu du Gabon) venant au secours d’une équipe de football dont le travail ne semblait pas probant, la valeur chance se substituant ainsi aux valeurs convenues d’effort et de persévérance que partage le monde sportif. Notons également quelques mots de drague dans la bande dessinée des « Gabonitudes » du quotidien L’Union où on découvre un homme demandant à une femme : « Veux-tu être ma cane ? » ou une femme aguichée qui dit : « Marque moi un but » !
La CAN 2012 sera surtout, au Gabon, une mesure temporelle. Il y aura un avant CAN et un après. Pas sûr que l’expression s’incruste dans le paysage linguistique comme on parle du temps digol (de l’après- Seconde guerre mondiale marquée par le temps politique du Général de Gaulle) mais c’est un moment de tension et d’espérance. Aussi bien pour les acteurs politiques et les opératifs du football que pour les citoyens, accrochés à ce moment historique pour la réalisation d’infrastructures ou la résorption de certaines difficultés socio-économiques quotidiennes. Dans le discours politique comme dans l’expression des attentes du peuple vivant autour des stades, tout est suspendu à la CAN 2012. Et mañana will be better ! Ce qui fait que les deux COCAN (Comités d’organisation de la CAN) soient de véritables mâts de cocagne vers lesquels convergent tous les regards. En attendant, le marché gabonais se couvre progressivement du mumbanda, corne d’animal utilisée dans les rites traditionnels pour invoquer les mânes des ancêtres. Ces versions gabonaises du vuvuzela sud-africain, actuellement en circulation pour soutenir l’équipe nationale du Gabon et la pousser vers la victoire, sont en matière plastique et viennent de… Chine : au secours, on ne veut pas se faire entuber ! Déjà que le pluriel du bantu originel mimbanda disparaît dans la presse au profit des mumbandas…
Auguste Moussirou-Mouyama