Cool ou casso, il faut choisir
Il y a une vingtaine d’années apparaissait dans le lexique des jeunes Français le mot gol, diminutif de mongol ou mongolien, pour désigner quelqu’un qu’on n’aimait pas, que l’on rejetait, un « imbécile ». Plus loin dans le temps, à la fin du XIXe siècle, apparaissait un autre mot, intellectuel. Le terme est en français un adjectif ancien mais un substantif relativement récent, remontant à l’affaire Dreyfus : les « antidreyfusards », et en particulier Maurice Barrès, qualifiaient les « dreyfusards », les défenseurs du capitaine, d’intellectuels, avec à l’époque une connotation nettement péjorative. Puis le mot a pris un sens positif : les intellectuels étaient les gens qui réfléchissaient, les penseurs, les créateurs. Plus tard encore, le diminutif intello, version populaire du mot, sera à mi-chemin entre les deux, moitié affectueux et moitié méprisant.
Pourquoi ces deux rappels historiques ? Tout d’abord parce qu’intello est aujourd’hui devenu, dans le vocabulaire des jeunes, la pire des insultes, désignant au collège un fayot, un lèche-bottes, cette évolution donnant l’impression d’une sorte de cycle sémantique : intellectuel est d’abord négatif, puis devient positif, se neutralise ensuite sous la forme intello pour redevenir aujourd’hui négatif. Et l’on peut imaginer que dans un avenir proche, il reprendra un sens positif. Quant à gol, il semble avoir disparu.
Mais l’inventivité lexicale étant incommensurable, on peut dans la cour d’un lycée faire une bonne récolte de mots péjoratifs. Il y a d’abord le bolosse ou bolo, avec une prononciation variable dont témoignent ces deux graphies. Le mot est pour les uns une verlanisation de lobo, lui-même abréviation de lobotomisé, pour les autres une abréviation de bourgeois. Quoiqu’il en soit, le terme n’est pas très gentil, tout comme bouffon, d’usage plus ancien, qui désignent les bons élèves. Ajoutons-y les cassos (les cas sociaux), ces élèves qui sèment le désordre et empêchent les autres de travailler, et nous avons un florilège des diverses gentillesses que l’on peut distiller autour de soi.
Intello, lobo, casso ou bouffon, vous me direz que tout cela ne témoigne guère d’une franche camaraderie et que les têtes blondes qui sont la France de demain passent plus de temps à critiquer ou à insulter les autres qu’à exprimer leur admiration. C’est vrai, et l’on peut avancer une hypothèse sociologique pour expliquer cette situation. Les collèges et lycées ont longtemps été une chasse gardée, un lieu réservé aux privilégiés : seuls les enfants des classes sociales favorisées fréquentaient l’enseignement secondaire, ceux que Bourdieu appelait les héritiers, et être « bon élève » était l’un des traits distinctifs de leur habitus. On ne se moquait pas de la réussite, on tentait plutôt d’y parvenir : l’école était un lieu de reproduction, où les enfants de la bourgeoisie réussissaient sans trop de problèmes. La démocratisation de l’enseignement a entraîné un brassage social, un brassage des habitus également. Les inégalités sociales sont entrées à l’école, la réussite scolaire y est moins automatique, et le bon élève n’est plus nécessairement perçu positivement. Il est vu comme celui qui accepte le système, qui tente de se faire bien voir par le professeur et « collabore ».
Il y a pourtant un terme, un seul, s’opposant à cet ensemble de termes péjoratifs : cool. Être cool c’est, dans le lexique général, être décontracté, zen, agréable, mais c’est aussi, dans ce lexique particulier, n’être ni intello, ni lobo ni casso. On remarquera au passage que la finale en o, dans les formes populaires, hésite entre une nuance péjorative (clodo pour clochard, boulot, coco pour communiste, facho, bolcho, etc.) et une nuance plutôt affectueuse (mon coco, fais dodo, du lolo pour du lait, etc.). Ceci mériterait un examen plus approfondi, pour l’instant, qu’on se le dise, cool ou casso, il faut choisir.
Louis-Jean Calvet