Le bolosse n’a pas le swag
Par Louis-Jean Calvet
Cette jeunesse est sans pitié ! Dans les cours des écoles et des collèges de France les hétéro-désignations (la façon dont on nomme les autres) fleurissent et constituent une hiérarchie impitoyable. On sait que, de manière générale, les hétéro-désignations peuvent être une forme de ségrégation, voire de racisme, et nous allons voir que cela commence tôt. Comment les élèves baptisent donc les autres, que ce soit de façon positive ou négative ?
En haut de la pyramide nous trouvons les populaires. Ici, pas de problème, l’adjectif parle de lui-même et la seule difficulté pour le (ou la) populaire est de le rester face à tous ceux qui veulent être calife à la place du calife. Populaire pourquoi ? On ne le dit pas, mais selon les jeunes que j’ai pu interroger les résultats scolaires ne semblent jouer en l’occurrence aucun rôle. Le populaire est populaire parce qu’il est populaire, cette tautologie tenant lieu de définition. Plus ambigus sont les intellos, ceux qui travaillent bien et ont de bonnes notes : on les admire mais on est en même temps jaloux d’eux. Mais les jeunes têtes blondes qui sont, dit-on, la France de demain ne savent sans doute pas que ce mot remonte à l’affaire Dreyfus : utilisé par les anti-dreyfusard comme Maurice Barrès pour stigmatiser ceux qui, comme Emile Zola ou Anatole France, défendaient le capitaine Dreyfus. Le mot, à l’origine péjoratif, est ensuite devenu mélioratif, dans la bouche des élites d’abord, pour gagner ensuite la jeunesse. Les populaires et les intellos tiennent donc le haut du pavé. Mais ils doivent compter avec les swags. Si l’intello est un bon élève, le swag n’en a cure, il brille pas son élégance. Avoir le swag c’est avoir la classe, être « cool, hype, stylé », et c’est à sa façon de s’habiller qu’on reconnaît donc le swag. L’étymologie du mot est claire, troncation de l’anglais swagger, « d’une élégance recherchée ». Mais une autre explication court les classes, selon laquelle swag serait le sigle de « secretly we are gays ». Cette origine est improbable, mais témoigne-t-elle d’une certaine homophobie ? On peut le penser, même si mes informateurs n’ont pas osé l’assumer ouvertement. En bas de la pyramide maintenant nous trouvons le bolosse et le K-sos. Nous sommes là dans le mépris profond. Le bolosse c’est le faible, le loser, le benêt, le simple d’esprit, celui dont on se moque, et il semble que le terme soit le produit d’une verlanisation. A l’origine, lobotomisé, tronqué en lobo, puis verlanisé en bolo puis mis au pluriel, bolos ou bolosse, le pluriel s’imposant ensuite comme forme générale. Le bolosse bien sûr a tous les défauts, et il ne peut donc pas être populaire ni avoir le swag. Quant aux K-sos, vous aurez deviné qu’il s’agit des cas sociaux. Et l’on peut imaginer (mais je dois à la vérité de dire que je ne l’ai jamais entendue) une expression comme Casse-toi K-sos ! Au terme de cette revue de détail, on en revient à la première phrase de ce billet : Cette jeunesse est sans pitié ! Mais en même temps on se doit de souligner l’extrême volatilité de ces appellations. Plus personne ne dit aujourd’hui gol (pour mongolien) par exemple, terme qui avait il y a une vingtaine d’années à peu près le même sens que bolosse. Et cette course à la nouveauté, qui caractérise la néologie juvénile, est parfois un peu essoufflante pour le pauvre linguiste courant après les nouveautés lexicales…
Alena
Bonjour,
dans l’hypothèse étymologique de bolosse exposé, le -s final se raisonne-t-il vraiment si facilement que ça ? La mode de resuffixation en -os étant pasée depuis un moment…
Merci pour vos retours!
Amateure de la néologie juvénile de la République tchèque