Bernard Pivot, le plus grand professeur de lettres

Posté le par le français dans le monde

Quand il apprit le décès de Bernard Pivot le 6 mai 2024, son collègue Philippe Labro s’est exclamé : « C’était le plus grand professeur de lettres qu’on ait jamais eu ! ». Oui, ce gratteur de tête (comme il aimait à se définir) a incité des générations de Français à la lecture, rôle généralement dévolu aux professeurs de lettres. Tâchons de comprendre quelle était sa méthode.
Par Françoise Ploquin

Fils d’épiciers lyonnais qui ne disposait, enfant, que du Dictionnaire Larousse et des Fables de La Fontaine, Bernard Pivot fut, de son propre aveu, un élève médiocre. Il ne fit pas d’études littéraires mais il aimait les livres et tout son talent fut de savoir faire partager sa passion au plus grand nombre. Il se fit chantre des mots avec la même ardeur qu’il célébrait le football (Le Foot en vert, 1980) et le vin (Dictionnaire amoureux du vin, 2006). Montrant le même enthousiasme que dans la dégustation des grands crus, il publie en 2011 Les Mots de ma vie. Initiateur du « Championnat d’orthographe et de dictées », il pourrait passer pour un esprit conservateur, mais voilà qu’en 2013, il s’amuse à rédiger chaque matin un message de 140 signes séduit par l’exercice de concision que représentent les tweets. Et, à partir de 2015, il se produit sur scène partout en France avec une pièce, dont il est l’auteur, intitulée Au secours ! Les Mots m’ont mangé. Ce festin final ne doit pas faire oublier l’influence qu’aura exercée Bernard Pivot sur la vie culturelle française durant le dernier quart du XXe siècle.

Donner vie à la littérature

Sorti major de l’École de journalisme, après un passage comme chroniqueur au Figaro littéraire, il devient directeur du mensuel Lire où se révèle sa vocation de dénicheur de bons livres. Après deux ans à ce poste, il se voit confier l’émission littéraire Ouvrez les guillemets qu’il transformera en Apostrophes, émission vedette de la télévision de 1975 à 1990. Avant Pivot, l’émission Lectures pour tous, malgré son titre démocratique, était marquée par la gravité que l’on doit aux auteurs, la componction même, et le respect dont on entoure les productions littéraires. Avec sa bonhomie, son ton primesautier, sa fausse naïveté, Pivot installe ses invités dans un lieu convivial comme le salon littéraire de l’époque des Lumières ou le café du XXe siècle animé, enfumé et bruyant. Les auteurs participant à l’émission y boivent, y fument, y débattent à voix forte et peuvent même aller jusqu’à s’engueuler. Pour que la séance soit réussie, l’animateur s’astreignait à la lecture d’une quinzaine de livres chaque semaine, puis il composait son plateau d’invités en opérant des choix volontiers orientés vers la polémique. Il ne prenait pas contact avant l’émission avec les auteurs pour laisser la surprise, l’imprévu donner de la fraîcheur et de la spontanéité à leur parole. Il sélectionnait les passages à lire que ce soit par lui ou par les auteurs eux-mêmes.

 

Le Roi-Lire

L’humoriste Raymond Devos découvrait ainsi le linguiste Claude Hagège et Roland Barthes dialoguait avec Françoise Sagan. Curieux, malin, un tantinet provocateur, Pivot avait l’art de décocher ses banderilles. Brandissant un livre qui l’avait « chahuté », il insiste « Mais, avouez-le, c’est votre vie que vous racontez… » « Qu’est-ce que vous en savez ? rétorque Madeleine Chapsal, c’est un roman. » Kundera interpelé le reconnaît : « tout notre travail devrait être la vérification de chaque mot » et Yourcenar reprend à son compte la devise de Zenon dans L’Oeuvre au noir : « Je suis un, mais les multitudes sont en moi ». Lévi-Strauss s’excuse : « J’ai toujours vécu à d’autres époques que la nôtre ». Ainsi voyait-on en direct la littérature s’incarner et les auteurs s’interroger sur leur propre expérience.

Pivot donnait vie à la littérature. L’impression, parfois sensible aujourd’hui, que l’auteur vient faire la promotion de son livre, n’effleurait même pas l’esprit du spectateur. Et pourtant à l’époque de Pivot, les libraires reconnaissaient qu’un tiers de leurs ventes était dû à Apostrophes d’où son surnom de « Roi Lire ». Devenu en 2014 Président de l’Académie Goncourt, il contribua, encore d’une nouvelle manière, à sélectionner et à faire aimer le meilleur roman de l’année. Donner envie de lire et faire aimer les livres, telle est la mission qu’a remplie à merveille ce « professeur de lettres » dont la classe était un pays tout entier.

Une fiche pédagogique est accessible dans le numéro 453. Page 79-80.

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