Quand le français fait bouger
En Allemagne, les professeurs enseignent deux matières. Wulf Conrad est enseignant de français et de sport à Cologne, deux passions très compatibles pour faire entrer le sport en classe de français et le français en cours de sport.
Propos recueillis par Michel Boiron
« Au départ, je n’étais pas prédestiné à devenir professeur de français. J’ai commencé par le latin, puis l’anglais et j’ai appris le français comme troisième langue. Et au bout de seulement six semaines, on a participé à un échange scolaire. Je connaissais à peine une dizaine de mots. Donc j’ai plutôt parlé avec les mains, avec des gestes, avec un sourire et ça a marché. C’est ça qui m’a motivé.
Ensuite, l’année du bac, j’ai eu un professeur qui était également prof de français et de sport. Lui aussi m’a inspiré et donné envie de faire ce métier. Et donc j’ai fait des études de français et de sport et je suis devenu prof. Les études de français étaient assez académiques, assez strictes, assez littéraires, mais pas une bonne préparation pour l’enseignement. Par contre, j’ai appris beaucoup de choses utiles pour ma profession dans la formation de sport.
J’ai toujours aimé m’engager auprès des jeunes, animer des activités, faire du sport dans ma paroisse et dans mon club de sport. J’ai aussi travaillé très longtemps comme animateur puis comme formateur pour les échanges franco-allemands avec l’organisme Bild GüZ de rencontres franco-allemandes et pour l’Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ). Là, on a vraiment appris à travailler avec les jeunes, à les motiver et à profiter de la présence des uns et des autres.
Français en mouvement, cours de sport en français
À l’école, on fait souvent des échanges classiques, on reste dans les familles d’accueil, on fait du tourisme, mais on ne fait pas forcément de l’animation linguistique, on ne travaille pas forcément sur un projet. Avec des collègues, on s’est dit que ce serait intéressant de transposer dans le secteur scolaire les expériences que nous avions eues dans le milieu extrascolaire. On a ainsi développé une formation avec l’OFAJ : « L’échange scolaire, tout un projet ». Il s’agit d’enrichir la rencontre sur place avec le partenaire avec un projet, par exemple sur les Jeux olympiques ou d’autres thèmes comme « faire la cuisine ensemble », « la découverte d’une ville » ou encore « le développement durable ». Et à partir de là, ces idées d’animations linguistiques se sont inscrites au quotidien dans la classe. J’avais conscience que dans la plupart des cours les élèves étaient assis et qu’ils avaient envie de bouger. J’ai donc intégré le mouvement dans les cours de français. On a compris assez tôt que ça fait du bien de bouger, d’interagir, et que ça marche très bien pour aider à mémoriser. On a aussi essayé de trouver des activités pour la grammaire ou le vocabulaire, et on a constaté de meilleurs résultats. Des élèves se sentent libérés parce que c’est différent du cours habituel. D’autres sont plus réticents et ont une attitude plus réservée au début, mais ensuite ça va, quel que soit l’âge.
J’ai souvent intégré le mouvement dans la classe de français et là j’avais envie de faire l’inverse. Je me suis dit que c’était possible parce que je l’ai personnellement souvent vécu avec des rencontres franco-allemandes. L’amitié, ça passe par des activités communes, surtout le sport, la musique, le bricolage, etc. Et puis on peut faire du sport avec quelques mots, donc pas besoin de grandchose. L’idée, c’était aussi de faire revenir quelques élèves au français en pratiquant du sport.
J’ai alors essayé d’enseigner le sport en français pendant une année, juste avec quelques élèves, avec des niveaux très différents. Trois élèves seulement suivaient encore des cours de français, mais sept autres avaient complètement abandonné et ont recommencé avec le sport. On peut beaucoup travailler la langue avec le sport, combiner les mots et les gestes. Alors, pourquoi ne pas jouer ensemble en français ? Avec le système scolaire actuel en Allemagne, beaucoup d’élèves sont dépassés par tout ce qui se passe à l’école et par l’apprentissage d’une deuxième langue.
« Si j’intègre le mouvement et le sport dans mes cours, c’est toujours dans l’idée de faire coopérer les gens »
Dans le cadre d’un projet comme un cours de sport en français, c’est pour eux une manière de vivre une langue sans stress. À la fin de ces cours, les élèves reçoivent une note, mais avec cette pédagogie de projets, on peut mieux les accompagner et les amener tous à réussir. Pour moi, c’est important d’avoir un objectif au-delà de l’activité elle-même, de savoir à quoi ça mène, que cela ne s’arrête pas à l’idée qu’on joue, qu’on fasse un peu de sport et qu’on parle français. Au-delà de l’apprentissage des mots et de la langue, il faut une perspective, par exemple une rencontre, un échange. Ainsi on a vraiment un but. C’est super motivant. À la fin du cours, j’avais prévu d’organiser une rencontre en France avec un groupe qui fait aussi du sport, mais ça n’a pas marché à cause du Covid.
La joie de jouer ensemble
Pour les jeunes, il y a la pression des profs, des parents, des notes, etc., il faut toujours correspondre aux exigences des autres… Dans un tel cours à projet, on sort du cadre classique. Les jeunes n’ont pas peur, ont envie de monter quelque chose ensemble, dans une équipe où on peut se soutenir, avec ses forces et ses faiblesses. Cela, on peut l’apprendre du sport.
En général, les gens font du sport pour des motifs assez différents, ceux qui veulent gagner à tout prix avec l’esprit de compétition, pour la performance – « plus vite, plus haut, plus fort » – ou tout simplement pour être en bonne santé. Pour moi, dans le cadre scolaire, on doit avoir plaisir à entrer dans une salle de sport sans la peur d’échouer. Tout le monde a besoin de bouger et d’être en bonne santé. L’important, c’est la joie de jouer, de bouger ensemble, le plaisir de travailler en équipe, d’aider ceux qui sont moins forts. Si j’intègre le mouvement et le sport dans mes cours, c’est toujours dans l’idée de faire coopérer les gens. Et le sport en français est très bien pour ça. C’est utiliser la langue sans qu’elle soit perçue comme quelque chose qui va être évalué mais totalement intégré à l’activité, au projet.
J’aime mon métier de prof. Enseigner, c’est avant tout essayer de rendre possible, de motiver, d’encourager. J’ai une classe en deuxième année de français, les élèves sont souvent assez perdus. Ils sont sympas, mais c’est très difficile… Alors, il faut définir des petits buts à atteindre et valoriser les efforts fournis, les convaincre qu’ils peuvent y arriver. C’est un labeur de tous les jours de leur dire qu’ils peuvent réussir. Il faut montrer un chemin, donner une perspective. C’est ça le métier de prof.
Pour en savoir plus :
Site de Wulf Conrad (en allemand) : http://www.wulfconrad.eu/
Deux de ses articles : « L’échange scolaire, tout un projet » (avec Thomas Legrand) : https://urlr.me/b3RXv ; « Le français en mouvement » (avec Maik Böing, en allemand) : https://urlr.me/WDfjc
Briony
Des idées très intéressantes qui peuvent vraiement motiver les apprenants.