« Je voudrais être l’une des gardiennes de ce patrimoine mémoriel universel »
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5Monde présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Roukiatou Hampâté Bâ, qui a créé et dirige la fondation Amadou Hampâté Bâ, en Côte d’Ivoire. Une rubrique « Étonnants francophones » à retrouver dans le numéro 438 (janvier-février 2022) du Français dans le monde.
« Je suis l’une des filles de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ, l’avant-dernière de la lignée, celle qu’il définissait comme « la fille de ses vieux jours ». J’ai été fascinée par son parcours, mais un peu tardivement. On cite toujours sa phrase : « Un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle », mais je n’ai découvert qu’à l’université son combat pour l’Afrique, de même que sa passion pour la langue française.
J’étais alors étudiante en communication à Ottawa, quand un ami est venu me demander si je connaissais l’œuvre de mon père. Il me l’a fait découvrir, ainsi que d’autres grands auteurs africains. J’ai admiré alors son style et j’et compris qu’il était un des derniers dépositaires de la culture africaine traditionnelle, celle qui passait par l’oral et par l’initiation. Et comme Amadou a été parmi les rares enfants africains à avoir fréquenté l’école africaine et l’école occidentale, c’est un véritable passeur. Il vous immerge directement dans ce passé qu’on n’a pas vécu et le restitue avec toute sa saveur, grâce à la langue française mais en l’enrichissant de sa propre culture. En fait, il est l’incarnation même de la francophonie, parce qu’il a marqué le passage de l’oralité à l’écrit en gardant le génie de la symbolique peule. Il disait : je n’écris pas le français, mais en français.
« Amadou Hampâté Bâ vous immerge directement dans ce passé qu’on n’a pas vécu et le restitue avec toute sa saveur, grâce à la langue française mais en l’enrichissant de sa propre culture »
Au crépuscule de sa vie, alors que j’avais pris une année sabbatique pour rester près de lui, il a plongé ses yeux inondés d’espoir et d’amour paternel dans les miens, et il me fit promettre d’assurer une continuité de l’œuvre qu’il lègue à la postérité. De son vivant, il en avait confié la gestion à Hélène Heckmann, qui a entrepris un grand travail de transcription. Quand elle est morte, en 2000, ce fut le début de ma mission, une mission sacrée pour la transmission de son savoir. J’ai donc voulu créer une fondation, pour collecter, sauvegarder et protégé plus de 70 années de recherches qu’il a collectées sur le terrain, touchante à toutes les facettes de la connaissance humaine, aussi bien en littérature qu’en histoire, en philosophie et en ethnologie, sans oublier la linguistique. Une somme colossale.
« On voudrait inscrire tous les manuscrits d’Amadou Hampâté Bâ au registre Mémoire du monde. Ce serait le meilleur cadeau pour le vingtième anniversaire de la fondation, créée en son honneur en 2002 et aujourd’hui reconnue d’utilité publique »
La Fondation a vu le jour en 2002 à l’initiative de ses ayants droit, avec l’appui de l’État de Côte d’Ivoire et de personnalités du monde littéraire et scientifique sous l’autorité du grand écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane. Qu’ils en soient tous remerciés. Aujourd’hui, la fondation est reconnue d’utilité publique et je fais beaucoup d’activités pédagogiques à destination des enfants. En vingt ans d’existence, nous avons recensé 400 à 500 conférences, numérisé plus de 150 000 pages, notamment avec l’aide de l’Unesco pour qui il a longtemps travaillé, y œuvrant à ce que la réécriture de l’histoire africaine par les Africains eux-mêmes. Nous avons aussi des trésors issus de sa bibliothèque personnelle avec des livres très rares, dont la plupart sont dédicacés par des personnalités tels que Malraux ou Théodore Monod. J’aspire à être l’une des gardiennes du temple et une perpétuatrice de ce patrimoine mémoriel universel. On voudrait justement inscrire tous les manuscrits d’Amadou Hampâté Bâ au registre Mémoire du monde. Ce serait le meilleur cadeau pour le vingtième anniversaire de la fondation. Mon engagement est ainsi l’expression de l’amour d’une fille pour son père, d’une élève pour son maître, qui la guide dans les valeurs authentiques de notre civilisation. Car c’était un sage et un humaniste, dont le message est plus que jamais d’actualité. »
Retrouvez ROUKIATOU sur Destination Francophonie
Valérie
Je suis fière de ce Grand Homme!
Merci pour l’hommage qui lui ai rendu par sa fille et l’émission Destination Francophonie.