Fdlm 421 – Expression : prendre une veste (5’28’’)
« Prendre une veste » : (RFI – La puce à l’oreille, 21 novembre 2018, Lucie Bouteloup)
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La puce à l’oreille
Lucie Bouteloup : Bonjour Pascal. Eh oui, c’est d’Issy-les-Moulineaux, le cœur serré, que je vous parle aujourd’hui. Il faut dire que j’ai eu tellement peur de me prendre une veste que je n’ai pas osé demander à mon chef de venir vous retrouver. Heureusement, pour m’accompagner dans le studio, eh bien j’ai le plaisir de recevoir monsieur Alain Rey qui va précisément revenir sur cette expression « prendre une veste ». Bonjour Alain Rey. Alain Rey : Bonjour ! Lucie Bouteloup : Avec nous également dans La puce les CM1 de l’école Nordmann à Paris. Vous allez voir, c’est pas toujours facile de prendre une veste, même quand on travaille dur du chapeau. Écoutez plutôt leurs propositions…
(musique)
Les enfants :
– P’têtre que prendre une veste ça veut dire se prendre une claque : parce que quand on prend la veste et qu’on fouette quelqu’un avec, ça fait mal comme une claque
– Se faire prendre pour quelqu’un d’autre
– Quand on a une chose et qu’on risque d’en subir les conséquences. Si on met une veste et qu’il n’y en a pas besoin, on a chaud. Pis alors j’ai eu chaud à traverser au rouge alors qu’il y a un policier à côté de moi.
– C’est se faire prendre une raclée. Par exemple, il fait beau et que tout d’un coup y’a la pluie très fort. Eh ben ça on peut prendre une veste.
– C’est attraper un coup de froid.
– C’est quand on se fait prendre un coup de chaleur, parce que les vestes ça sert à tenir chaud. Par exemple au soleil j’ai pris une veste.
– C ‘est se prendre un vent. Par exemple y’a quelqu’un qui dit salut à quelqu’un mais la personne elle lui répond pas et du coup il s’est pris une veste.
C’est la puce à l’oreille !
Lucie Bouteloup : Alors Alain Rey, « Prendre une veste » pas facile cette expression pour les enfants, hein. Alain Rey : Ah ben bien sûr, c’est tout à fait normal qu’ils la réinterprètent autrement. C’est prendre une claque, c’est prendre un coup de chaud, c’est prendre un cou de froid… Toutes les interprétations sont possibles. Enfin ce qui est constant et ce qui est vrai par rapport à l’expression, c’est que c’est un échec, un échec qui ne fait pas de bien. Alors, en fait, on ne sait pas quelle est l’origine mais on sait quel est le contexte. Les premiers emplois de prendre une veste dans ce sens là, c’est après la guerre de 70 et surtout à partir des années 1920, c’est dans un contexte strictement politique, c’est à dire que c’est échouer dans une élection. Comme si on donnait à celui qui n’est pas élu une veste de consolation ou quelque chose comme ça. Mais on n’a pas d’explication en France, toutes les possibilités sont ouvertes. Lucie Bouteloup : Moi j’ai trouvé une autre hypothèse sur l’expression « prendre une veste » qui viendrait de « être capo ». Alors, qu’est-ce que le capo ? Le capo, donc, c’est un capuchon, c’est-à-dire que c’est un manteau ou alors la longue veste militaire, la capote. Et selon Furetière, c’était l’habillement que mettaient les chevaliers quand ils étaient reçus par l’Ordre du Saint-Esprit. « Capo », ça s’utilise aussi dans certains jeux de cartes, notamment le jeu de piquet, selon Furetière toujours, pour désigner celui qui termine une partie de carte sans avoir fait aucune levée de carte. Alain Rey : Absolument. Lucie Bouteloup : Donc il se retrouve dans un embarras tel, comme si on lui avait mis une veste sur la tête, donc il est humilié. Alain Rey : Oui et puis on aurait confondu « capo » et « capote ». Lucie Bouteloup : Voilà, on aurait confondu « capo », « capote », et qu’après le manteau plus moderne devienne une capote. Alain Rey : Je n’y crois pas trop car c’est une expression qui prend son sens moderne dans le contexte des élections et de la politique, je vois pas bien le rapport avec les jeux de cartes. Lucie Bouteloup : Parce que c’est l’humiliation. Alain Rey : Oui, c’est une humiliation, oui, c’est vrai, pour le sens ça marche pas mal. Lucie Bouteloup : Une humiliation au jeu… Alain Rey : Mais penser que l’on ait confondu « capo » et « capote », et puis une capote n’est pas une veste, alors dans ce cas-là, on dirait « prendre un manteau » ou « prendre un imperméable »… Donc là on peut y croire ou ne pas y croire, mais justement c’est ce qui fait le charme des expressions, c’est que l’on peut leur trouver des explications et si elles viennent d’Antoine Furetière qui est mon camarade depuis très très longtemps, auquel j’ai consacré un livre, j’en suis absolument ravi parce que son dictionnaire est absolument fabuleux. Lucie Bouteloup : Et alors quand on retourne sa veste, qu’est-ce que ça veut dire ? Alain Rey : Ben là c’est plus clair : vous voyez aujourd’hui je porte une veste qui est réversible, on peut la retourner, ça veut dire changer d’opinion très rapidement. C’est l a girouette : la girouette suit le vent et celui retourne sa veste il prend une autre apparence avec la même veste. Lucie Bouteloup : Alors, qu’est-ce qu’on peut trouver comme synonyme à cette expression : « prendre une déculottée, une raclée ». Alain Rey : Oui, et la déculottée est plus proche parce que il s’agit de vêtement. La raclée c’est très loin, la raclée on est du côté du coup, on se retrouve avec nos 400 coups. Lucie Bouteloup : D’accord, donc on restera sur « prendre une déculottée ». Vous savez qu’en Allemagne on dit « tomber sur le nez » et en Angleterre « prendre sur le menton ». Alain Rey : Là c’est très clair, c’est la chute… Lucie Bouteloup : Capo, manteau ou bien veste nous voilà donc rhabillés pour l’hiver. Merci Alain Rey d’être venu dans La Puce. Une Puce que vous pourrez retrouver ainsi que toutes les précédentes sur le site de RFI-Savoirs, « Savoirs » avec un « s ». Mon cher Pascal, Alain Rey, à la semaine prochaine pour une nouvelle expression.