Acclimatation camerounaise
J’ai travaillé fin février une semaine à Yaoundé et, comme d’habitude, mon petit carnet en poche, je cherchais dans mes moments de liberté des « camerounismes », du français local, en pensant bien sûr à ce blog. J’avais par exemple relevé dans divers quotidiens une formule juridique, « condamné à vie », intéressante car elle se prêtait à diverses interprétations. Par opposition avec « condamné à mort », elle semblait indiquer que le tribunal avait condamné l’accusé à vivre, ce qui n’était bien sûr pas le cas : il a été en fait « condamné à perpétuité », à rester théoriquement en prison « à vie ». Je prenais donc des notes sur des formules de ce genre lorsque je suis tombé dans le quotidien Mutations (1er mars 2012) sur un article d’Eric Essono Tsimi intitulé « Introduction à un dictionnaires des africanismes ».
Le texte débutait de façon très sérieuse, évoquant les formes locales de français, des camerounismes, et celles que l’on trouve dans tous les pays francophones, des africanismes. Il opposait le statut de la langue héritée du colonialisme, la façon dont elle peut exprimer les identités africaines, à certaines langues africaines qui selon l’auteur sont appelées à disparaître ou à se fondre dans un français endogène, etc. Et il se terminait de façon tout aussi sérieuse, appelant à la fin de l’autodépréciation des pratiques linguistiques africaines, à la fin des complexes normatifs en quelque sorte, et suggérant la création d’académies françaises locales.
Mais, entre les deux, l’auteur proposait quelques définitions, sur le mode d’articles de dictionnaires, de mots ou d’expressions utilisés au Cameroun. Et il changeait alors de genre, pratiquant à la fois l’humour et une critique de la société au travers des mots qui expriment cette société. En voici quelques exemples.
Cousin, e : 1. Partenaire sexuel occasionnel. 2. Parent oublié ou lointain du village, qui est très malade, affamé ou assoiffé et a besoin d’un secours immédiat en espèces sonnantes et trébuchantes.
Facile : adj. qual. Se dit d’une femme à la morale sexuelle masculine.
Fcfa : 1. Franc des colonies françaises d’Afrique 2. Communauté financière africaine 3. Monnaie de singes, marché de dupes
République bananière : Pays qui exporte des bananes ou en consomme à profusion. Le Cameroun par exemple et d’autres pays d’Amérique latine, ce sont des république bananières par nature. La France elle est un pays importateur, qui consomme beaucoup de bananes, c’est donc aussi une république bananière par destination.
J’avoue que j’aime bien cette forme ludique de lexicologie. On distingue en écologie entre deux manière de s’acclimater pour une espèce (animale ou végétale) déplacée : l’acclimatement et l’acclimatation. Il y a acclimatement lorsqu’une espèce déplacée survit, et acclimatation lorsqu’elle survit et se reproduit. Il en va de même pour les langues, l’acclimatation correspondant bien sûr à la transmission d’une génération à l’autre. Mais l’acclimatation implique en outre une transformation formelle, et c’est peut-être ce qui est en train de se produire en Afrique. « Femme à la morale sexuelle masculine », « république bananière par destination », tout cela témoigne de l’aspect profondément sain de l’acclimatation du français en Afrique, des formes locales qu’il est en train de prendre.
Si en outre, comme le suggère l’auteur, se créait une Académie camerounaise de la langue française et qu’il en soit membre, les académiciens collègues de monsieur Eric Essono Tsimi ne devraient pas s’ennuyer.
Naila Després
Beau texte sur une réalité de plus en plus évidente : la Francophonie, l’Academie française elle-même ont les moyens d’accompagner les gouvernements africains qui prendraient une telle initiative… Les Africains se sont appropriés le français, il faut qu’ils le revendiquent comme une conquête, pas comme un ultime signe de servitude.