Francophonie malagasy
Le titre à la Une du quotidien malgache L’express dans son édition du 12 février 2011 est incompréhensible pour un lecteur peu habitué aux méandres de la politique locale : « OIF – COI – Rajoelina / TOUS DERRIÈRE SIMAO ». C’est en décryptant les sigles que l’on commence à comprendre le double lien entre deux organisations internationales et le président du régime de Transition qui a renversé le président Marc Ravalomanana, d’une part, et la thématique des langues françaises à travers le monde, d’autre part. Ce lien que nous postulons trouve aussi son sens dans les traits d’union entre l’Organisation internationale de la Francophonie, la Commission de l’Océan Indien et Andry Rajoelina dont le régime vient de faire adopter par référendum, le 17 novembre 2010, une nouvelle Constitution qui conforte la place du français à Madagascar.
Son prédécesseur avait promulgué le 27 avril 2007 une Loi constitutionnelle qui introduisait l’anglais comme langue officielle au même titre que le malagasy et le français, le malagasy étant la seule langue nationale. L’article 4 de la nouvelle Constitution stipule : « Les langues officielles sont le malagasy et le français ». Out donc… l’anglais ! Si les traits d’union font sens ici, c’est parce que les deux organisations internationales sont éminemment d’expression française, l’ensemble des États de la COI étant tous membres de l’OIF ; à l’inverse, les pays de la SADC (Communauté économique des États d’Afrique australe) sont majoritairement anglophones et c’est à cette organisation régionale que la communauté internationale a confié le mandat d’accompagner Madagascar vers une sortie de la crise politique qu’il traverse depuis 2009. Dans cette lecture symbolique de la crise malgache, le médiateur de la SADC, le Mozambicain Leonardo Simao, lusophone, fait figure ainsi d’homme neutre à même de favoriser le dialogue entre l’ancien régime qui a montré son penchant anglophone et le régime dit de Transition, qui a donné des gages manifestes de francophilie, malgré la suspension de Madagascar de l’OIF.
Les deux régimes se retrouvent cependant dans l’affirmation identitaire du peuple malgache. J’ai dit malgache ? Ce terme est impropre et les élites comme l’administration publique et les couches populaires l’évitent parce qu’il se termine sur un gâchis…francophone : accolés, « mal » et « gache » (proche du verbe gâcher) sont si peu valorisants que l’adjectif utilisé dans les textes officiels est souvent malagasy. Qu’importe si les productions locales sont qualifiées de « gasy » avec une valeur péjorative, en comparaison avec les produits d’origine étrangère censés être de meilleure qualité : l’adjectif malagasy exprime une quête identitaire qui se moque de ruptures morpho-syntaxiques comme celles que l’on croise dans le Préambule de toutes les Constitutions : « le Peuple Malagasy »…
La linguiste Vololona Randriamarotsimba, de l’ENS d’Antananarivo, rapporte que de nombreux Malgaches avaient pris part à un colloque sur le plurilinguisme en 2007 dans l’espoir de trouver des solutions face à la « perte de l’authenticité du malgache », victime des médias et de la jeunesse, avec pour projet que « le malgache redevienne la SEULE langue d’enseignement à Madagascar ». Mais, observe-t-elle, « quand on leur demande de quel malgache il va s’agir, ils deviennent plus vagues et marmonnent: « le malgache normé et authentique, celui de 1832″ ». Face à l’argument « qu’ils vivent au XXIe siècle, que le malgache a évolué depuis et… quid des variétés régionales ? », ils n’avaient plus que ce soupir : « le malgache est foutu !!! ». La pire des analyses que l’on puisse offrir à ce peuple insulaire assuré d’être « pur », c’est de l’inscrire dans la lignée d’une créolité telle que pensée par Édouard Glissant et qui peut servir à définir la Francophonie institutionnelle dans ses valeurs de partage : « En général, les Malgaches qualifient les Créoles (acolytes des colons selon eux) et leur langue comme « kiringa » c’est-à-dire « bâtard », « mélangé », et même de « tai-kiringa » (tay = excrément!) bref un véritable repoussoir ! ». Le peu de succès, à ce jour, des médiations francophones et même internationales pour une sortie de crise à Madagascar, tient-il de ces ambigüités malagasy ? Quant à savoir à quoi peut référer le trio francophile « derrière Simao » : postériorité, secondarité, marginalité ou rescousse par rapport à la médiation de la SADC ? Support ou suppôt ?… c’est une autre histoire !
Auguste Moussirou-Mouyama