Fdlm 393 – Portrait : une « éveilleuse d’écriture » (3’33’’)
Michèle Reverbel a passé 35 ans de sa vie à écrire et surtout à susciter l’écriture. Autant d’années pendant lesquelles cette femme n’a cessé de traverser la France à la recherche de ceux qu’elle appelle les oubliés de l’écriture. Et dans toutes ces villes et villages traversés, elle a tenu des centaines de « présences d’écriture » pour donner envie d’écrire, sans contraintes, ni corrections. Aujourd’hui, Michèle Reverbel est à la retraite à Uzès dans le Gard et elle rêve de raconter son histoire dans un livre. Elle a aussi donné au Musée de la Poste à Paris une grande partie des milliers de courriers que ses anciens élèves lui ont envoyés. Elle est au micro de Benjamin Dehaut.
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TRANSCRIPTION
Benjamin Dehaut – Michèle Reverbel a passé 35 ans de sa vie à agir contre l’exclusion / son arme / une simple plume / d’abord écrivain public dans l’administration elle décide de tout abandonner pour devenir « éveilleuse d’écriture » / son choix va la conduire à travers toute la France / elle pose ses valises là où elle l’entend pour tenter de redonner goût à l’écriture à tous ceux qui n’écrivent plus / dans des cages d’escalier / sur les plages / dans les prisons ou même dans des maisons de retraite / rien ne l’arrête / et tout débute pour elle il y a 39 ans – Michèle Reverbel – La seule écrivain public qu’il y avait en France à l’époque / je l’avais rencontrée et puis j’avais trouvé que c’était / ah / un métier merveilleux / donc j’ai ouvert une / une boutique / une échoppe / à Valence dans la Drôme / et puis j’ai écrit écrivain public sur la fenêtre du rez-de-chaussée – B. D. – Mais très vite son nouveau métier ne la satisfait plus et elle décide de tout plaquer à nouveau en 1983 – M. R. – À force d’entendre les gens dire / j’écris pas parce qu’à l’école on m’a tapé dessus / parce qu’à l’école on m’a dit que j’écrivais comme un cochon / parce qu’on m’a arraché la page de mon cahier / parce que j’ai envoyé un jour une lettre à ma grand-mère / elle me l’a renvoyée avec les fautes d’orthographe soulignées / et tout ça / je me suis dit que c’était insupportable de faire payer des gens qui avaient presque tous été à l’école et j’ai décidé d’être éveilleuse d’écriture – B. D. – Et pour retrouver ceux qu’elle appelle les oubliés de l’écriture / elle est prête à tout – M. R. – Les marchés / les bistrots / les halls de gare / j’ai fait toutes les banlieues nord de France comme on dit / les halls d’immeuble / les dealers et tout ça / ben au début ils disent / ah ben je sais pas écrire / et puis après / je dis / ben si / vous savez sûrement écrire / que vous vouliez pas / c’est un fait / mais que vous sachiez pas
/ c’est pas vrai – B. D. – Michèle Reverbel ne refuse ses services à personne / mais pour écrire sur son stand il faut respecter les règles – M. R. – Je ne les fais écrire qu’avec des plumes métalliques / des porte-plume / des vieilles encres / des vieux papiers / pour qu’il y ait un / un retour au goût / au toucher / à la beauté / et de se réapproprier une écriture – B. D. – Et ne lui parlez pas de fautes d’orthographe – M. R. – Ça me fait rire quand on me dit il faut les corriger et tout / parce qu’il y avait un jeune dealer qui quand il m’a vue m’a dit / ouais / à mort la drogue / faut pas y toucher / faut pas / alors que visiblement c’était le mec qui trafiquait dans le coin / j’ai dit / ben c’est bien / écoute / écris tout ça / et il a écrit « amor la drogue » / a-m-o-r / j’ai jamais corrigé / pour moi / les fautes d’orthographe / c’est comme les taches sur les vêtements / vous vous renversez votre café le matin sur votre chemise / c’est pas pour ça que vous avez ni le droit de vous habiller / ni le droit de boire du café – B. D. – Michèle Reverbel oblige ses élèves à ne plus avoir peur et elle les pousse à être créatifs – M. R. – Je les fais écrire avec des supports de papier / avec / je dis on n’est pas obligé / l’angoisse de la page blanche / on peut prendre une page de couleur / un page avec des rayures / avec des carreaux / on peut plier son enveloppe comme on veut / la poste accepte absolument tout envoi à condition que l’adresse soit lisible / vous avez des jeunes aujourd’hui qui disent / ah bon / mais on peut écrire l’adresse en faisant des cœurs et tout ça / je dis oui / tout à fait / ah ben alors je vais me mettre à écrire / voilà – B. D. – Et si elle entraîne les jeunes à reprendre la plume / elle n’oublie pas les plus anciens – M. R. – Et il y a les personnes âgées qui veulent en fin de vie à tout prix écrire leur vie / alors bon / écrire une vie ça se fait pas en cinq minutes / mais généralement ça tient sur quatre pages et ils se disent maintenant que j’ai écrit ces quatre pages tous mes descendants sauront qui je suis / alors qu’ils vont se partager mes meubles / mes bijoux et tout ça / et qu’ils s’en ficheront complètement / mais si je laisse quatre pages de moi / je pourrais enfin dire ce que je pense – B. D. – Fatiguée par toutes ces années à voyager Michèle Reverbel profite aujourd’hui de sa retraite dans le Gard / mais elle aimerait raconter son histoire / mais cette fois-ci / dans un livre.
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KIEMA MICHEL
Ecrire c’est vivre une vie d’encre,de papier et de plume.C’est enflammer de quelque manière sa vie intérieure,lui conférer une autre dimension plus sédentaire face au flux temporel. C’est aussi voyager dans un monde singulier,où l’on se dévoile devant la feuille vierge,l’écran d’un ordinateur et le tableau noir. C’est aussi prolonger la parole,chose qui caractérise tous les hommes,d’où qu’ils soient et quoi qu’ils disent. On retourne aux sources profondes qui sont en nous. Il faut encourager et saluer de telles actions,car il y a de l’illettrisme qui subsiste en France. A cet égard,elle me fait penser à cette idée de Pline le Jeune qui dit : »Heureux les hommes auxquels les dieux ont accordé le privilège de faire des choses qui soient dignes d’être écrites,ou d’en écrire qui soient dignes d’être lues.Encore plus heureux ceux qui ont reçu ce double avantage. »Chacun doit comprendre qu’une langue est un grand héritage qui ait été donné aux humains pour exprimer les plus belles choses dans leur vie,et qu’il convient d’en prendre soin.L’école joue un certain rôle qui ne suffit plus pour atteindre l’épanouissent de tous les citoyens français.